Chapitre 2. Une pratique en développement : le repas dansant

2-1 Faux bals traditionnels, vraie modernisation du bal

Il pourrait sembler facile de déduire de la situation du bal public les caractéristiques du repas dansant: ce serait donc un bal avec repas, un bal du nord et un bal en développement. C’est vrai pour ce dernier point. Ce n’est pas faux pour les précédents, mais il est préférable de nuancer: la nature du repas dansant se révèle plus complexe à appréhender.

En effet, ces progrès, tout autant que la surprenante diversité de la catégorie, nous intéressent car ils paraissent significatifs d’une évolution des comportements marqués par une présence sociale accrue de groupes (organisateurs, public, les deux étant liés et très proches) nouveaux ou du moins plus importants. Les inégalités de répartition seront donc extrêmement révélatrices de ces changements et de modes de structuration sociale et spatiale variés -même s’il s’agit probablement d’une situation transitoire- d’une région à l’autre.

Dans le discours commun, le repas dansant apparaît à beaucoup comme très traditionnel et c’est probablement son principal paradoxe: incarner le maintien de coutumes anciennes, tout en étant l’instrument d’une modernité que nous allons nous efforcer de mettre en lumière. A rebours des évidences, il semble que cette modernité ne réside pas dans le mode consommation alimentaire qu’on y fait et qui lui donne son nom, mais plutôt dans les formes de sociabilité que permet son fonctionnement. D’où la nécessité de l’appréhender avec prudence.

Sans aller jusqu'à évoquer le peu historique repas qui clôt chacune des aventures d'Astérix, songeons à Bruegel, au Roman de la Rose comme au Roman de Renart, à Rabelais ou à cet étrange bal précédé de ripailles décrit par Erasme dans L’éloge de la folie, voire les imprécations des hommes d'Eglise qui ne distinguent pas le festin de la danse dans leurs condamnations. On le retrouve à l'origine de nombreuses coutumes locales à contenu alimentaire, telles certaines fouaces ou pastis qui accompagnaient souvent les fêtes 489 .

En réalité, il semble, mais aucune étude ni donnée précise ne vient le confirmer, que sa pratique a fortement régressé pendant au moins un siècle. Sa présence semble plus rare et surtout son image devient alors vieillotte quand, au contraire, les grands bals publics s’inspirent des modèles des dancings et bals itinérants sur parquet, ou sinon du 14-juillet: au triomphe de la commune correspond celui de son bal, identification entre une communauté et un territoire.

Ce mouvement semble s’être inversé voici déjà une génération: alors même que débutait pour le bal public une mutation que, du fait de sa prépondérance, on a un peu vite confondu avec celle du bal dans son ensemble, les repas dansants ont repris de la vigueur. Leur retour fut discret mais assez net pour que la SACEM éprouvât le besoin d’en tenir une comptabilité spécifique dès les années 70.

Mais l’appellation ne recouvre que mal la variété des situations nouvelles.

Notes
489.

Pour plus de précisions, voir les abondantes bibliographies de Paul Gerbod et Francis Marchan ou l'ouvrage de Baril: L'histoire de la danse en Occident. Paris, Le Seuil, 1964, hélas difficile à trouver en bibliothèque.