2-4 Deux types de repas dansants définis par leurs organisateurs

Il ne faudrait par déduire des exemples évoqués dans les paragraphes précédents, que les repas dansants sont surtout organisés par des villages soucieux d’ancrer l’identité de leur communauté ou des professionnels préoccupés de leur chiffre d’affaire: plus encore que les bals publics, les repas dansants sont organisés par des associations.

On a déjà signalé, pour les repas dansants, l’absence de toute mention utile à ce sujet dans les données de la SACEM. Les informations fournies par les enquêtes 504 les plus complètes auprès des orchestres vont y suppléer. Bien qu’elles soient plus limitées, leurs contrastes sont cependant assez nets pour supprimer toute ambiguïté.

Graphique 14. Les associations organisent les repas dansants
Graphique 14. Les associations organisent les repas dansants

Source: enquête personnelle (89-96): repas dansants; orchestres n°1, 2, 3, 4, 5, 6 et 8

Les repas dansants apparaissent ainsi massivement comme d’origine associative (graphique 14): les professionnels (3,5% de l’échantillon) n’y sont pas représentés car secondaires 505 , bien que moins marginaux que dans les bals publics (0,6%). Dans les deux cas, leurs bals ont des caractéristiques qui d’ailleurs les rapprochent beaucoup des repas dansants. Aux associations sont ici agrégés les comités d’entreprises et groupements professionnels qui ne se distinguent que parce qu’ils sont les seuls à être gratuits.

Ces repas dansants ont surtout lieu au nord et en hiver: respectivement 85 et 93% de l’échantillon (graphique 15). Ils sont nettement plus urbains que les bals publics: les grandes villes et leurs périphéries représentent plus des deux tiers de l’ensemble alors que les bals publics de la même enquête étaient aux trois quarts localisés dans des petites villes isolées ou des villages.

Graphique 15. Deux types de bals très différents
Graphique 15. Deux types de bals très différents

En pourcentage.
Source: enquête personnelle (89-96); orchestres n°1, 2, 3, 4, 5, 6 et 8

Enfin, l’environnement de ces repas dansants est radicalement différent de celui des bals publics: ils ne s’insèrent que rarement dans un ensemble de fêtes, n’accueillent qu’exceptionnellement des touristes et, on le verra en détail, sont peu concernés par les bagarres. Il s’agit bien d’un événement isolé quand au contraire on a vu que les bals publics ont vocation à s'insérer dans la vie de la localité.

Mais il est préférable de ne pas entrer dans le détail, car ces caractéristiques se révèlent différentes si on distingue deux types de repas dansants selon leurs organisateurs: municipalités ou associations. Ces derniers composent le premier type, majoritaire. Ils représentent probablement aujourd’hui un quart à un tiers des bals organisés en France.

Le graphique 15 montre donc un bal nettement urbain: les deux tiers des séances recensées ont lieu dans des agglomérations de plus de 10 000 habitants. Ces séances urbaines se partagent en gros pour moitié dans les villes centre et pour l’autre moitié dans leurs périphéries. Mais cette proportion est probablement exagérée en faveur des premières par le fait que plusieurs des orchestres pris en compte sont des formations assez importantes et que les disco-mobiles interrogées n’ont pas répondues à cette partie du questionnaire. Dans le cas de l’orchestre n°3, plus petit, l’inflexion est ainsi nettement caractérisée.

Mais il importe d’expliquer ici comment se distinguent rural et urbain dans le bal. Un certain nombre de communes dites ici rurales sont souvent dans la lointaine mouvance d’une agglomération, notamment en matière économique. On a tenu compte du fait que, à l’observation autant que dans de nombreuses études 506 , des comportements plus ruraux semblent y perdurer, même si les modes de vie peuvent en surface apparaître plus urbains. Il est cependant évident que certains cas sont ambigus: n’imaginons surtout pas une limite stricte, la diversité et la nuance sont la règle.

Par ailleurs et pour les mêmes raisons, cette localisation urbaine des repas dansants du premier type est renforcée encore par le fait que, dans cette répartition, on place les petites villes isolées dans la même catégorie que les communes rurales. La limite nominale se situe autour de 5 à 10 000 habitants. Cependant, il a d’abord été tenu compte surtout de la situation et des comportements (autres bals organisés): la plus peuplée de ces petites villes classée dans le rural est ainsi Pamiers (15 000 habitants) mais Megève ou Barcarès, au public très touristique dans les cas considérés, figurent parmi les grandes villes.

Cette manière de procéder n’a pas résolu tous les problèmes: comment classer par exemple St-André-le-Gaz (Isère) ou les petites villes industrielles des vallées vosgiennes 507 ? C’est la principale caractéristique de ce premier groupe qui justifie qu’on l’appelle repas dansant urbain.

De tous les bals, c’est celui qui draine le public le plus local: aucune mention de touristes. Enfin, on verra que c’est un bal calme: les actes violents, exceptionnels, concernent surtout le second type de repas dansants.

En apparence, ces deux catégories de repas dansants ont un point commun, leur saisonnalité: ils semblent tous massivement organisés de septembre à juin quand c’est l’inverse pour les bals publics. Mais, l’observation suggère d’apporter quelques nuances que la taille relativement importante des orchestres étudiés ne permet pas de mettre en valeur. Cela permet aussi de caractériser le second type de repas dansants, ceux organisés par les municipalités, comités des fêtes, et autres associations d’animation communales: nombre de petits repas dansants ruraux du midi sont organisés en été entre les membres d’un village, ainsi à Ostabat dans les Pyrénées Atlantiques pour le 15 août, mais c’est aussi valable pour les cas signalés par Di Méo en Vic-Bilh 508 : sur la place on dresse les tables sous une tente et tous les membres du village participent. En fait, le premier type de repas dansants évite presque systématiquement l’été, quand le second s’en préoccupe moins.

Il s’agit d’un bal comme ceux qu’on a déjà présenté en Aveyron, particulièrement celui de Moyzarès: plus facilement estival, souvent inclus dans un ensemble d’autres fêtes et généralement très rural. Il a pour objectif de rassembler les membres du village: cela correspond bien à ce que souligne le délégué de la SACEM dans l’Orne. Ces bals y sont nombreux et en progrès rapide. Ils caractérisent les villages en difficulté démographique où on a conscience d’une perte de cohésion. A ce titre, on peut le considérer comme un bal public où on mange.

C’est lui et lui seul qui correspond vraiment au repas du village gaulois dans Astérix. C’est lui aussi qu’on s’efforce de recréer dans beaucoup de repas dansants du premier type, organisés dans les campagnes périurbaines. D’ailleurs le discours produit par les organisateurs pour expliquer la finalité de leur repas dansant est souvent le même partout, même si on verra que l’appel à l’idée de renforcement de la cohésion de la population de la commune est très ambigu dans le cas de périphéries urbaines récentes.

Dans les campagnes plus dynamiques, généralement en progrès démographique, comme dans les petites villes, on voit souvent coexister les deux types de repas dansants. C’est le cas dans l’exemple de La Terrasse-sur-Dorlay. Mais celui de La Primaube, qui ressort des deux finalités montre qu’il ne faut pas exagérer la rupture: elle se fait en douceur, sans que leurs acteurs, organisateurs ou public, en aient bien conscience.

L’opposition entre ces deux types de repas dansants n’est donc surtout pas tranchée. Dans toute une frange intermédiaire composée de communes rurales proches des villes et repeuplées par une population qui en vient et y travaille encore, on trouvera souvent des repas dansants qui intègrent des aspects des deux types.

De même, dans les petites villes isolées, déjà peuplées mais encore fortement liées aux campagnes environnantes, qui ont des caractéristiques proches en ce qui concerne les bals publics, on peut voir se succéder dans l’année les deux types, dans des bals distincts et mieux caractérisés. Cependant ces comportements ne sont pas normatifs, de nombreuses nuances amènent à constater une diversité qui correspond bien à celle des publics.

Notes
504.

Synthèse repas dansants: annexe

505.

A l’exception des dancings dans le cas de l’orchestre n°3 (17% de ses prestations); mais ceux-ci ne nous intéressent pas dans cette étude et ont donc été éliminés.

506.

KARNOOUH, C. La démocratie impossible. Parenté et politique dans un village lorrain. Etudes rurales, n°52, octobre-décembre 1973, p. 24. DIBIE, P. Le village retrouvé. 2e ed., Ed. de l’Aube, 1995, 257 p. ZONABEND, F. Les morts et les vivants. Le cimetière de Minot en Châtillonnais.Etudes rurales, n°74, avril-juin 1979, p. 51.

507.

Sur l’ensemble des bals de l’échantillon, une quinzaine de cas ont posé problème.

508.

DI MEO, G. Territoires. Op. Cit.