2-8 Bals associatifs et bals municipaux

Pour conclure ces deux chapitres, on peut donc dresser un tableau des différents types de bals. Plus que la consommation alimentaire qu’on y fait, c’est donc le statut des organisateurs qui caractérise le mieux les uns et les autres. Tout autant que l’influence de comportements régionaux, de modes, le choix du type de bal est fortement déterminé par les goûts , les désirs, les présupposés de ces organisateurs.

Les repas dansants sont organisés surtout par des associations. Cette spécificité a plusieurs conséquences: elle fait leur modernité par une capacité d’adaptation plus rapide aux évolutions de la société. En effet, leurs organisateurs sont beaucoup plus proches des publics qui fréquentent les manifestations qu’ils mettent en oeuvre, ne serait-ce que parce que la diversité de ce public y est moindre que dans les bals publics. La diversité des organisateurs est ainsi révélatrice de la diversité des publics: les repas dansants urbains sont associatifs, les repas dansants ruraux et les bals publics sont municipaux; les deux adjectifs se révèlent riche de connotations.

On met en valeur des formes d’organisation des sociétés locales assez différentes d’un type de bal à un autre, même s’il ne faut pas non plus oublier que les convergences sont importantes et, surtout, les situations intermédiaires fréquentes. Les repas dansants sont des bals qui apparaissent traditionnels par le public qui les fréquente, la musique qui s’y joue, mais en fait, l’innovation peut aussi venir de groupes plus âgés, surtout si ceux-ci connaissent une mutation rapide de leurs modes de vie. A l’inverse, dans les bals publics, le public de jeunes est souvent plus important, la musique plus moderne voire très à la mode; mais ces bals sont structurés par des relations qui se révèlent très traditionnelles, on a parlé de ritualisation.

Le graphique 16 nous présente les caractéristiques des bals de l’enquête auprès des orchestres selon leur type d’organisateur, mais aussi leur situation géographique. Du fait de la forte saisonnalité déjà remarquée, l’analyse de la période s’est révélée superflue.

Les repas dansants sont majoritairement organisés par des associations, les bals publics par des municipalités. On se souviendra qu’apparaissent mal un nombre important de repas dansants ruraux organisés par des municipalités et qui se rapprochent des bals publics. Ces bals municipaux sont au sud quand les associations sont nettement au nord du pays. Les repas dansants ruraux sont à peine mieux répartis de part et d’autre de cette ligne de clivage majeure.

L’un et l’autre ont une vocation locale indiscutable, même si elle est exclusive dans le cas des repas dansants (des deux types). Les rares touristes se concentrent dans certains bals publics municipaux méridionaux. On voit bien là l’intérêt d’étudier les bals lorsqu’on vise une définition des processus de territorialisation au niveau local.

Graphique 16. Caractéristiques des bals selon le type d’organisateur
Graphique 16. Caractéristiques des bals selon le type d’organisateur

Source: enquête personnelle (89-96); orchestres n° 1, 2, 3, 4, 5, 6 et 8

Presque tous les repas dansants sont payants, quand c’est nettement plus rare dans le cas des bals publics, surtout les bals municipaux. On a vu qu’il s’agit alors souvent d’une forme de sélection du public qui les rapproche des bals associatifs clos. Ceci explique que les mentions peu fréquentes d’incidents violents soient concentrées dans les bals publics, mais rares dans les repas dansants ruraux: la sélection du public y limite les risques. Mais n’oublions pas que la principale cause tient à ce que, à la différence d’une collectivité, le bal n’est pas pour de nombreuses associations une fin en soi: il s’agit de collecter des moyens de poursuivre une autre activité, pas de se contenter de couvrir les frais avec la buvette pour animer la vie locale.

Enfin, les bals associatifs urbains ne s’insèrent que rarement dans un ensemble de fêtes à caractère local. Il s’agit d'événements isolés, à public certes local, mais coupés de la vie de la localité. C’est un des principaux éléments de distinction entre les deux types de repas dansants car il révèle bien les ambitions divergentes des organisateurs. Certes, la fête foraine se limite souvent à faire venir quelques baraques de friandises, de loterie et un manège pour les enfants (ainsi à Cuxac-Cabardès, dans l’Aude), parfois moins encore: un seul manège et une baraque à chichis (Aussillon dans le Tarn, St-André, Haute-Garonne), mais c’est l’occasion de manifester la volonté d’intégrer le bal dans un ensemble de fêtes plus large. Pour les bals associatifs, si une autre fête existe, elle sera généralement celle de l’association, rarement sinon exceptionnellement, celle de la communauté locale.

De même, placer son bal la veille ou le lendemain d’un autre bal manifeste clairement qu’on intègre son action dans l’ensemble de la vie locale. Très souvent sur les affiches on parle des fêtes, le pluriel révélant autant la diversité des animations que celle des intervenants. Seuls les bals municipaux ont cette ambition, c’est même ce qui justifie l’intervention publique dans cette activité comme dans les villes plus grandes l’intervention culturelle publique; d’ailleurs de nombreux comités d’animation ont le statut d’association déclarée d’utilité publique...

D’un côté on a un bal idéologiquement construit au point qu’on peut même parler de bal républicain. De l’autre, voici un loisir à vocation économique. A ce titre, la ligne de partage majeure entre les deux conceptions est celle qui distingue les deux types de repas dansants, hélas difficiles à distinguer dans l'ensemble des données dont nous disposons. Deux modèles, avec chacun des variantes, divergent nettement, l’un centré sur la collectivité, l’autre sur un groupe plus restreint d’individus qui privilégient d’abord leur intérêt, leur plaisir ou tout simplement leur existence en tant que groupe. Le premier a vocation à rassembler le plus largement possible, le second à délimiter nettement un groupe en excluant tout intrus. Deux conceptions fondamentalement opposées qu’on va s’efforcer maintenant de définir avec une précision croissante afin de voir ce qu’induisent les changements en cours.

Un premier regard à une échelle moyenne permet de mettre en valeur des espaces régionaux aux conceptions divergentes.