1-4 Des comportements orientés par la taille des unités urbaines

Le premier regard permet d’identifier nettement trois ensembles: les bals des grandes régions très urbanisées, ceux qui couvrent de vastes espaces du pays où la ruralité joue encore un rôle, et enfin deux modèles plus spécifiques à certaines régions.

Les plus fortes intensités de pratique se trouvent dans le groupe dit mixte, particulièrement le bal du sud, centré sur le bal public. Ce type de bals apparaît bien comme le coeur de la France du bal plus traditionnel, celui qu’on décrit généralement comme le bal dans le discours commun, celui qu’on oppose souvent aux autres pratiques dans cette étude. Mais on y distingue deux sous-ensembles; le Sud-Ouest et surtout le Massif Central sont très proches du modèle, alors qu’à partir des délégations de Nîmes et Valence, la vision perd de sa netteté: moindre intensité de la plupart des marqueurs, proximité d’autres catégories. Dans une région aussi contrastée que le sud-est, il serait nécessaire de réaliser une étude très précise afin de distinguer les zones de forte densité de population et leur arrière-pays.

En poursuivant selon une décroissance de l’intensité, le nord se divise en deux ensembles. Le bal du nord-est couvre un territoire qui pourrait mériter l’appellation plus simple de bal du nord: de la pointe du Cotentin à Rhône-Alpes, mais les délégations de Valence, Gap ou Toulon en sont proches. La Bourgogne et la Normandie en constituent les points forts: le repas dansant y est dominant et compense en grande partie un bal public déclinant. C’est une région où le repas dansant rural, petit et donc souvent sans orchestre n’est pas beaucoup plus fréquent qu’ailleurs, mais son rôle y est renforcé du fait de la relative faiblesse des autres pratiques.

Le bal du centre-ouest se signale par une intensité globale légèrement inférieure mais mieux équilibrée bien que les bals ne soient pas toujours majoritaires et soient progressivement grignotés par les progrès des repas dansants. Repas dansants souvent ruraux, et peut-être plus qu’ailleurs comme en témoigne la part accrue des municipalités. Petits bals avec beaucoup de petits orchestres, moins fréquents dans les repas dansants, ce type s’étend sur une aire vaste, susceptible d’être accrue sensiblement à ses périphéries ouest et sud. Cela concerne aussi un certain nombre de délégations de l’est (Metz, Nancy, Besançon, Chambéry). Ces délégations se distinguent par l’importance accrue des repas dansants, ruraux mais aussi périurbains, doublée d’une baisse logique de l’intensité car il s’agit de délégations plus urbanisées. On peut donc parler d’une assimilation par défaut.

Ces trois types de bals, pour lesquels les fréquences sont élevées ou proches de la moyenne, représentent l’essentiel du territoire, là où la part des populations rurales reste dans l’ensemble la plus forte. On peut donc parler des trois grands types de bals ruraux ou mixtes puisque cette population des campagnes reste minoritaire dans la population totale et semble jouer un rôle inégal selon les cas: induisant les comportements dans l’un (bal du midi), adoptant ceux des villes dans l’autre (bal du nord-est) avec des situations de repli (repas dansants ruraux au nord-est et centre-ouest).

On voit ainsi que l’urbanisation plus importante d’une délégation semble avoir une influence sur les comportements. On veillera cependant à ne pas l’exagérer: Rouen, Arras ou Valenciennes sont très urbanisées, avec des comportements qui diffèrent peu de ceux qu’on rencontre dans des délégations voisines beaucoup plus rurales.

Lorsque ce lien entre densité et pratique semble ne pas vraiment fonctionner, cela a motivé une catégorie spécifique, particulièrement nette en Alsace 516 . C’est aussi ici qu’on trouve les comportements les plus souvent proches des moyennes. Il s’agit en quelque sorte d’un bal proche de celui du sud, très traditionnel, mais qui s’en distingue par sa fréquence moindre et sa richesse nettement supérieure. Lorsqu’on s’en écarte, c’est pour voir apparaître des bals publics riches, avec orchestre en général: ainsi à Cannes et Nice, l’intensité baisse tandis que la richesse s’accroît en proportion. C’est exactement l’inverse dans les bals du sud, tout comme à Boulogne. Dans l’ouest (Le Mans, Angers), cette pratique plus forte se répartit entre bals publics et repas dansants.

Catégorie par défaut, le bal du littoral se caractérise surtout par la faiblesse d’ensemble de la pratique et ses exceptions. Avec une majorité de bals publics (sauf à Bordeaux), de fréquents orchestres, c’est aussi un bal traditionnel mais cette relation entre intensité et richesse n’y fonctionne plus: les bals sont rares (à l’exception de Rennes) et petits. Cependant la plupart des indicateurs signalent des progrès, même en matière de repas dansants.

Les exceptions et variantes sont nombreuses: Ajaccio, plus proche du type du sud, mais avec des fréquences dérisoires; Bordeaux plus marqué par les repas dansants; Rennes aux bals comme aux repas dansants plus nombreux qui ressemble beaucoup à ses voisins, La Roche-sur-Yon et ses progrès du côté des repas dansants...

Comme dans le précédent cas, vu l’importance des distorsions entre délégations, on peut difficilement parler de culture régionale: la fragmentation de la Bretagne l’illustre bien. C’est plus net pour l’Alsace, très cohérente, mais quels rapports avec Nice ou Boulogne? Cela amène pourtant à évoquer une caractéristique importante qui motive l’utilisation répétée des descripteurs d’évolution: partout, la différenciation entre modèles et régions s’accroît. Cela touche généralement les principaux marqueurs: part des bals publics dans le sud, des repas dansants dans le nord-est. On l’a aussi remarqué dans l’étude des comportements économiques. Si on ne peut vraiment conclure à l’existence de comportements régionaux, il semble que ceux-ci s’ébauchent à travers des comportements de plus en plus divergents.

Avec 28% de la population mais seulement 9% des bals, il peut sembler paradoxal que les bals urbains fassent l’objet de trois catégories distinctes. Il s’agit de tenir compte de cette importante population et surtout de différences de comportement. Mais le faible nombre de manifestations n’accentue-t-il pas les contrastes? Car leur principal point commun tient à la faiblesse de la pratique du bal, moins liée à la densité puisque ce sont les banlieues parisiennes, avec Marseille et Monaco, qui présentent les plus faibles fréquences. On y voit aussi que les repas dansants y occupent une place plus importante, de même que dans les autres grandes villes françaises.

C’est dans ces deux groupes qu’on peut le mieux voir apparaître le repas dansant périurbain; il est souvent plus fréquent ailleurs, mais statistiquement moins net: la faiblesse générale de l’activité dans le périmètre urbain a pour conséquence de minimiser le poids des unités urbaines, de les diluer dans leurs campagnes, parfois fort vastes et dynamiques. Pour des raisons purement statistiques (la découpe des délégations de la SACEM), ces comportements apparaissent plus nettement au Havre et à Montpellier car ils sont partiellement isolés des campagnes. C’est la raison d’être de cette précision; elle permet de mettre en valeur des comportements spécifiques, qui concernent en fait une part bien plus importante de la population française, mais à une échelle plus grande que celle de la délégation.

On voit donc s’opposer Paris et les deux autres groupes, relativement proches. Ces derniers se distinguent l’un de l’autre par une accentuation des caractéristiques, mais aussi une atténuation très forte de la pratique dans la banlieue parisienne. Tous trois ont en commun des progrès souvent sensibles: peut-on parler d’un retour du bal en ville ? Vu les niveaux d’activité très faibles ce serait prématuré mais ce frémissement est cependant intéressant.

Paris présente par contre un profil plus original, bien qu’il soit préférable de ne pas exagérer son homogénéité: deux délégations ressemblent au modèle (Paris Ouest et Est), quand les deux autres s’en écartent un peu. On y voit se dessiner le profil d’un bal moins rare, important (redevances très élevées) et plus traditionnel (bal public dominant) que dans les banlieues. La seule surprise vient d’une utilisation moindre que supposée des orchestres pour les bals de très grande taille.

Il s’agit probablement de l’impact des bals avec disco-mobile qu’on trouve de plus en plus souvent associée aux bals pour jeunes urbains, du fait de la multiplication des musiques synthétisées et remixées (rap, techno...). Le caractère urbain de la disco-mobile est très net (Carte 37). Si ailleurs, le retour des orchestres est synonyme de retour à l’authenticité, ici c’est l’inverse mais avec les mêmes intentions: les disc-jockeys sont considérés comme des artistes. Et les jeunes français sont des stars internationales particulièrement appréciées dans les pays anglo-saxons et au Japon. Aussi, derrière le recul de la disco-mobile plus classique -mais toujours très présente dans l’extrême sud-ouest-, se cachent les progrès de ses formes les plus novatrices.

Carte 37. L’utilisation très urbaine de la disco-mobile
Carte 37. L’utilisation très urbaine de la disco-mobile
Notes
516.

Avec le sud du pays, il s’agit des délégations qui se rapprochent le plus du modèle de référence statistique.