1-5 Beaucoup de micros-régions nettement délimitées

Le problème de la trop grande taille des entités spatiales, ici, ne se pose pas seulement pour les villes: il existe un grand nombre demicro-régions d’une taille inférieure à la délégation (c’est à dire le plus souvent inférieure au département) dont les comportements s’individualisent très nettement. Quelques cas sont révélateurs d’une diversité généralisée: la Sarthe ou le Béarn (carte 16 et 17) ne sont pas des exceptions. Le plus souvent ces ruptures sont entre zone urbaine et rurale: la situation de Montpellier est sûrement celle de Bordeaux, et explique les caractéristiques contradictoires de cette dernière.

La recomposition de la délégation de Saint-Etienne (carte 3) est aussi révélatrice. Si on s’intéresse aux données en 1991, on met en valeur des comportements complètement différents: la délégation de Roanne ressemblait beaucoup au type que nous avons identifié comme le bal du sud, avec seulement une légère surreprésentation des repas dansants (attraction du bal du nord-est). Celle de Saint-Etienne était alors, bien plus nettement qu’en 1995, à rattacher au modèle des bals de grandes villes. Mais l’observation montre que ses périphéries nord (arrondissement de Montbrison) et sud (Pilat et versant rhodanien) ont des comportements proches des bals du sud. On voit donc s’esquisser une partition très stricte des comportements avec une zone de transition très courte, moins d’une dizaine de kilomètres où les comportements changent.

Au nord, cette frontière suit la Loire jusque vers Andrézieux puis part à l’est en direction des Monts du Lyonnais (Saint-Galmier) qu’elle contourne par le sud sans les pénétrer. Au sud, les premières pentes du Pilat sur toute leur longueur font transition. Bref, on isole clairement l’agglomération stéphanoise, selon les mêmes logiques que celles constatées plus haut. Mais qu’en est-il dans des zones moins contrastées?

Moins contrasté, le même cas se présente avec la suppression de la délégation de Lens, démembrée entre celles d’Arras et de Valenciennes (carte 2). La délégation de Lens épousait les contours du Bassin minier, de Bruay jusqu’à la frontière en passant par Douai. Or, si en 1991 les comportements étaient proches, quelques nuances révélatrices distinguaient les deux délégations: un peu plus rurale, Arras avait plus de bals et ceux-ci étaient nettement plus souvent des bals publics, quand bals et repas dansants s’équilibraient mieux à Lens. De même, la présence orchestrale, faible dans l’ensemble était plus marquée à Arras. Des divergences modestes mais révélatrices.

Si on élargit le regard à l’ensemble de la région, fragmentée en 6 délégations pour deux départements, on voit une véritable marqueterie de comportements très nuancés mais distincts: Lille plus urbaine, Dunkerque et Boulogne plus rurales, se différencient des trois autres délégations.

Cette diversité, on la retrouve sur les bords de la Méditerranée; dans la région d’Aix-Marseille, il faut opposer en permanence la côte et l’arrière-pays. La vallée du Rhône a des comportements qu’on retrouve aussi dans l’immense délégation de Valence: le long du fleuve, vit la majeure partie d’une population relativement moins concernée par le bal avec des particularités qui la rapprochent du type du nord-est: majorité de repas dansants, associatif développé. A l’intérieur de l’Ardèche et de la Drôme, par contre, les comportements sont clairement ceux du bal du sud.

Ces partages ne sont pas toujours aussi nettement spatialisés: dans la délégation de Gap, il s’agit plus d’une opposition entre anciens et nouveaux habitants, ces derniers expliquant l’importance non négligeable des repas dansants dans la délégation, qui a pourtant la plus forte fréquence des bals publics.

Les découpages administratifs et politiques induisent aussi, à la longue, des comportements très spécifiques; outre les effets démographiques 517 , ils créent de véritables frontières mentales très durables. Les frontières nationales sont solides: La République des Pyrénées ou L’Indépendant n’indiquent que rarement des festivités se déroulant dans l’Espagne proche, et encore ne s’agit-il que d'événements majeurs (San Firmin à Pampelune ou carnaval de Gérone) qui dépassent largement le cadre local. La revendication d’une Catalogne unie, de part et d’autre de la frontière, reste encore assez illusoire.

Dans le Nord, si les jeunes passent la frontière pour aller dans les nombreuses discothèques belges, c’est un phénomène récent qui ne concerne pas les bals. Mieux, le développement récent des discothèques et de bars où la danse est tolérée 518 dans le centre de Lille ont provoqué un reflux et une stagnation de l’activité pour la cinquantaine d’établissements installés le long de la nationale (belge) 50 entre Courtrai et Tournai 519 .

Plus surprenant encore, on découvre que les limites départementales sont elles aussi très respectées. Dans l’édition de Pau de La République des Pyrénées, bien qu’on soit très proche des Hautes-Pyrénées, les bals annoncés ne la transgressent que dans deux cas sur l’ensemble de ceux représentés en carte 17; un seul en Haute-Garonne (carte 10) d’après La Dépêche du Midi.

Sur le terrain, on retrouve la même tendance: l’intérêt d’étudier les bals du sud de la Haute-Garonne résidait dans la proximité des limites départementales avec le Gers, les Hautes-Pyrénées et l’Ariège. Dans tous les cas, on reste surpris par le faible nombre de véhicules provenant des départements voisins. Mieux, un organisateur 520 , ne comprenant pas le sens de mon étonnement éprouva le besoin de justifier les rares cas, les considérant lui-même comme exceptionnels !

On voit donc le poids de découpages de l’espace dont la perception recoupe ou est amplifiée par celle héritée de l’administration, de la politique, de la composition de la population. La définition de cet espace du bal se réduit même à une quinzaine de kilomètres: encore et toujours le pays, ce petit espace de proximité immédiate.

La carte 36 permet donc d’avoir un regard plus clair sur le bal; la prudence du commentaire montre qu’elle reste cependant perfectible et surtout mouvante. Ces types de bals, ces catégories, sont ouverts, susceptibles d’être nuancés, d’évoluer. Par ailleurs expliquer cette partition en grandes régions est complexe: au-delà de l’identitaire, la densité et les types d’unités urbaines semblent jouer un rôle important. Mais la page qui précède montre, qu’avant de conclure à leur prépondérance, d’autres facteurs doivent être abordés: ils sont culturels et sociaux.

Notes
517.

DAMETTE, F., SCHEIBLING, J. La France. Permanences et mutations. Hachette, coll. Carré-géographie, 1995, 254 p.

518.

Depuis le milieu du siècle dernier, pour lutter contre la prostitution mais aussi des raisons fiscales, la danse est interdite dans les bars. Cette réglementation reste très respectée.

519.

La même situation m’a été signalée à Strasbourg.

520.

A Lodes, à 10 kilomètres de deux limites départementales. Annexe 2.