2-1 Pourquoi aller au bal ?

2-1-1 Une influence réelle mais à la marge des pratiques musicales

En matière d’influences culturelles, la plus évidente pourrait être la pratique musicale. Celle-ci est bien connue. On peut même distinguer entre les affirmations lors des enquêtes 521 , souvent exagérées puisqu’au contraire du bal il s’agit d’une activité assez prestigieuse, et la réalité plus concrète 522 . Selon les premières, qui s’intéressent à la pratique individuelle, la région parisienne et les plus grandes villes se signalent logiquement par une pratique plus importante qui décroît régulièrement avec la taille des agglomérations. Dans ce cas, il n’y aurait pas de lien avec le bal.

La seconde est plus nuancée. Elle ne prend en compte que l’équipement collectif mais montre que si, en général, on trouve cet équipement plutôt dans les villes importantes, les plus grandes des communes rurales sont nettement mieux équipées que supposées. Un regard attentif montre même que Paris et ses banlieues ne sont pas toujours aussi bien pourvues qu’on pourrait le croire.

Pour être plus précis, on veillera à distinguer entre une musique plus élitiste, dite classique, et une musique populaire qui nous intéresse particulièrement. La première est surtout issue des écoles de musiques (carte 38-A). Sa pratique collective a lieu dans des groupes instrumentaux. Cette musique joue un rôle, mais plus marginal, dans la formation aux musiques populaires: qu’on songe aux nombreuses écoles d’accordéon.

Carte 38. La formation musicale en France
Carte 38. La formation musicale en France

La seconde apparaît surtout à travers les fanfares et harmonies musicales (carte 38-B), pratique musicale de groupe, activité de spectacle qui joue aussi un rôle important en matière de formation de jeunes musiciens. Elle débouche plus souvent sur la pratique dans un orchestre de bal. Ces formations nous intéressent particulièrement car elles ont joué un rôle comparable à celui du bal public. Systématiquement associées aux célébrations publiques dès les années 40 du XIXe siècle, elles se sont beaucoup développées sous le Second Empire 523 .

Leur contrôle progressif par les Républicains en fait l’enjeu d’âpres batailles 524 qui débouchent parfois sur l’interdiction ou la fondation d’une société concurrente: “les fanfares constituent le terrain privilégié des rivalités ouvertes par la question du parrainage festif. En elles se nouent deux questions souvent disjointes: celle de la sociabilité comme forme d’acculturation politique et celle du politique comme enjeu des faits de sociabilité.” 525 . Ainsi elle permet “la descente du politique vers les masses” 526 Pas une fête sans La Marseillaise. Aujourd’hui encore, il n’est pas rare que le bal du 14-juillet commence ou se termine par elle. Tout autant que le drapeau, elle reste un symbole fort de la nation, systématique dans les compétitions sportives: on se lève et on chante à tue-tête le refrain et les rares couplets qu’on en connait.

En même temps, le contrôle de la fanfare valorise le maire qui “ne conquiert pas seulement un élément de prestige. Il s'arroge de surcroît un pouvoir sur les conditions d'expression de la sociabilité locale.” 527 On attend beaucoup de son rôle d'entraînement. Mobilisation. Et recrutement. Car la musique introduit la fête et “en prenant part à l'organisation du bal, elle permet de conquérir un large public auprès de la jeunesse.” 528

Or, ce lien politique fort entre fanfare et bal semble aujourd’hui oublié: il est symptomatique que les fanfares soient surtout présentes dans les régions de forte pratique musicale où en général le bal public est secondaire. Si elles introduisent toujours la fête, elles sont plus ludiques et souvent un peu folkloriques. Cependant, il existe encore des formations se produisant aussi bien en concert qu’en bal. C’est ainsi le cas de l’orchestre n¡4 de l’enquête qui joue sous deux noms distincts (Harmonie municipale de Saint-Chamond ou Quorum) selon les situations.

Carte 39. Les orchestres de bal en France
Carte 39. Les orchestres de bal en France

Les orchestres de bal sont connus grâce à l’énorme travail de Francis Marchan 529 . Il a répertorié l’ensemble des orchestres qui apparaissent dans les relevés de la SACEM au cours de l’année 1985. Le poids des deux grands pôles à l’ouest et au nord-est du pays se confirme. La carte 39 coïncide assez bien avec la carte des bals avec orchestre (carte 40) et, plus encore, avec celle de la pratique musicale qui se dégage des cartes 38. Surtout, le montant modeste des redevances dans la plupart de ces régions confirme l’hypothèse d’orchestres de petite taille qui jouent rarement 530 . Enfin cette spécificité de l’ouest se renforce (carte 15).

Carte 40. Un recours très inégal aux orchestres
Carte 40. Un recours très inégal aux orchestres

Mais la musique et le bal ne sont plus aussi liées que par le passé: le développement des disco-mobiles et la mobilité accrue l’expliquent; ainsi le sud du pays fait appel à des formations venues du lyonnais. Surtout la musique ne véhicule plus les mêmes enjeux politiques; elle est devenue une affaire d’éducation.

Notes
521.

MINISTERE DE LA CULTURE. Enquête 1997. Op. cit.

522.

COURSON, J. P. Inventaire communal. Enquête 1988. Equipement des départements. T2 Démographie. Société. INSEE, 1990.

523.

GERBOD, P. L’institution orphéonique en France du XIXe siècle au XXe siècle. Ethnologie française, 1980, n°1, pp. 27-41.

524.

IHL, O. Op. cit. pp. 154-161.

525.

Idem, p. 154

526.

AGULHON, M. Op. cit.

527.

HL, O. Op. cit. pp. 156.

528.

Idem, p. 157.

529.

MARCHAN, F. Mémoire de DEA. 1990. Op. cit.

530.

MARCHAN, F. Thèse, tableau 10, p. 150.