2-1-3 Niveaux d’étude et comportements culturels ont une incidence limitée

Aujourd’hui le discours régionaliste se nourrit souvent d’abord d’une revendication linguistique. Le débat à ce sujet n’a pas sa place ici mais on peut remarquer qu’on retrouve quelques lignes de la carte 36 à travers celle des progrès lents du français 546 . Comme en matière de ménages multiples, on ne peut que se borner à signaler les coïncidences entre les régions où les bals publics sont dominants, et celles qui ont adopté le plus tardivement le français.

Mais aujourd’hui la question linguistique est dépassée; on a vu qu’un des principaux marqueurs culturels dans la composition des publics tient à leur niveau d’étude. Les pratiquants les plus assidus du bal se recrutent parmi les populations qui ont le niveau du BEPC, BEP, CAP quand les moins pratiquants ont un niveau d’étude supérieur au bac. On devrait donc retrouver les régions “instruites” parmi les moins pratiquantes et le bal jouerait un rôle important dans les régions de plus faible niveau de formation.

Or il n’en est rien 547 , à l’exception de la région parisienne, c’est même l’inverse: le midi, et ses nombreux bacheliers, danse beaucoup plus que le nord. Dans le nord, des contradictions sont nettement visibles entre des régions où les études techniques courtes dominent: l’Alsace ou la Lorraine pratiquent nettement plus le bal que la région nantaise. A une échelle plus précise encore tout semble opposer la région de Saint-Gaudens et celle de Pau qui pourtant se ressemblent beaucoup en matière de bals. On doit donc rejeter très nettement l’idée d’un lien spatial entre formation et intensité de la pratique du bal.

Faut-il donc rejeter tout argument culturaliste ? Non. Mais, de même qu’on a vu que le bal n’était pas vraiment un loisir ni une activité économique, on veillera à ne pas en exagérer la présentation culturelle qui n’apparaît que comme un facteur secondaire.

Il n’empêche que l’utilité identitaire du bal semble essentielle. Or, si les marqueurs hérités, patrimoniaux, semblent laisser une trace peut-être moins nette que ceux proprement culturels, dans un domaine où la représentation compte autant et parfois plus que la réalité, ils sont aujourd’hui valorisés: le cas du fest-noz, si rare et encensé, l’illustre bien. On peut aussi se demander si, à travers la carte du bal public dominant, n’apparaît pas celle d’un modèle de société plus traditionnel, hérité. Ce bal public serait donc plus traditionnel par les relations sociales qu’il sous-tend que par sa forme, assez modernisée.

En même temps, devenu plus sophistiqué, plus technique, le bal dépend aujourd’hui d’équipements et structures fixes. Ceux-ci facilitent son organisation et sont peut-être susceptibles d’accroître la fréquence des manifestations. Mais surtout, bien plus que les marqueurs culturels, ils révèlent par l’effort qu’ils demandent à la collectivité l’importance sociale du phénomène.

Notes
546.

WEBER, Eugen. La Fin des terroirs. Fayard, 1983. Propose des cartes qui montrent bien la progression du français durant le XIXe siècle.

547.

COLLECTIF. Atlas des zones d’emploi. Cartes 8 à 11 (A et B). Coédition DATAR-INSEE-Ministères de l’Education Nationale, de l’Industrie, du Travail-RECLUS, 1994.