3-1 La difficile distinction du rural et de l’urbain

3-1-1 Quel rural et quel urbain?

Avant d’aborder la question, il est préférable de poser quelques idées préliminaires. Il ne s’agit pas ici de tenter une nouvelle définition du rural et de l’urbain: l’abondante bibliographie sur la question tient autant au caractère mouvant du phénomène, qu’à la difficulté à l’appréhender, rendant insatisfaisante la plupart des définitions et fascinant les géographes autant qu’il les rend perplexes. On va donc simplement s’efforcer de préciser ce qu’on retient derrière les termes employés dans l’étude.

Le problème vient de ce que depuis longtemps on s’interroge sur les liens et les hiérarchies entre morphologie spatiale, fonctions et activités, modes de vie. En général, on parle des lieux de vie des populations mais cela implique donc une allusion aux paysages, aux modes de vie (réels ou imaginaires) liés. Le succès de cette classification entre rural et urbain vient de la richesse de ses ambiguïtés.

Brunet 599 trouve d’ailleurs “suspect” le terme rural; Charrier 600 est confronté en titre de chapitre à “la difficile délimitation du fait urbain”. D’autres 601 évoquent la “complexité de l’espace urbain” puis énumèrent une suite de fonctions spécifiques. Beaucoup, comme Chapuis 602 , se gardent de donner dès l’abord une définition synthétique et se réfugient derrière la délimitation statistique de l’INSEE.

Cette dernière évolue peu à peu 603 du morphologique (la contiguïté spatiale) vers le fonctionnel (l’emploi) avec des transitions: les Zones de Peuplement Industriel et Urbain (ZPIU); l’association de deux termes qui ne ressortent pas des mêmes champs lexicaux montre l’embarras. La récente évolution resserre la définition spatiale de l’urbain et du rural mais a, en même temps, pour conséquence de sous-entendre une allusion à des modes de vie spécifiques, la ruralité, l’urbanité.

Kayser semble le comprendre ainsi puisque, commentant le changement 604 , il en vient à définir la ruralité: “Il est possible de caractériser celle-ci par trois rapports originaux qu'entretiennent les habitants avec leur environnement, leur société, leur localité. L'environnement agro-sylvo-pastoral fait aux ruraux un paysage à dominante végétale et la structure urbanistique du village les assure d'un cadre de vie à “dimension humaine”. La société, les rapports sociaux sont profondément imprégnés d'interconnaissance, même si le réseau des relations personnelles de chacun déborde largement les limites communales. La localité, enfin, en tant que système local d'administration et de pouvoir, est le lieu d'une participation spontanée, expression de l'intérêt de chacun, au sein d'une petite communauté, pour la gestion publique des affaires collectives.

Les statistiques dont on dispose ne permettent pas encore de cerner de très près la personnalité globale des ruraux ainsi définis, mais elles permettent du moins d'en approcher quelques traits distinctifs.” Dans le cadre de notre étude, c’est pour l’instant la définition la plus intéressante car elle insiste, certes en les idéalisant, sur les relations qui structurent ce qui devient un lieu de vie.

Pour l’urbain, le problème reste entier. En fait, se cachent “plusieurs concepts derrière le mot “ville”. 605 Car “l'approche statistique du fait urbain s'appuie nécessairement sur des représentations de ce qu'est une ville [...] Les villes sont cependant des objets trop riches et trop divers pour qu'une seule définition, une conception unique, puisse en rendre compte. Selon que l'intérêt est porté au cadre bâti, à l’architecture, à l'habitat, aux activités et aux fonctions urbaines, au statut politique ou encore aux modes de vie des habitants, les définitions changent et les mesures aussi.” 606 Et d’énumérer une liste classique de critères: statut juridique, façon d’habiter, fonctions économiques, relations de travail. Surtout on insiste sur “la difficulté d'en délimiter les contours, qui sont devenus de plus en plus flous dans l’espace et dans le temps.” 607

Qu’en retenir ? En reprenant les critères de Kayser, nous intéressent surtout la façon d’habiter, les modes de vie des habitants mais aussi, car cela joue un rôle essentiel dans l’attraction du public du bal, l’espace de relations, défini physiquement (les transports) et surtout par les réseaux de fréquentations qu’il sous-tend (les liens entre les participants à la manifestation).

Dans le cas de ce qu’on nomme pour simplifier ville-centre on retient donc: une forte densité, un paysage où l’agro-sylvo-pastoral est très réduit, beaucoup de liens entre habitants mais un niveau d’interrelations limité à l’intérieur de chaque sous-partie du territoire 608 , des déplacements importants mais dans un cadre spatial qui reste réduit et souvent très circonscrit lorsqu’on s’intéresse aux loisirs, même dans les plus grandes villes 609 .

Pour leurs périphéries, tout se complique. L’opposition binaire rural-urbain résiste alors qu’elle est remise en cause dès le moyen-âge: le mot faubourg apparaît au XIIe siècle et désigne ce qui est hors (fors) du bourg. L’embarras des contemporains qui explique le glissement rapide (XIVe) vers faux bourg valait bien celui qu’on relève derrière l’expression ZPIU: comment définir les marges de la ville ?

C’est un espace mouvant, d’indétermination, en gestation qui donne aux organisations et structures leur fluidité. D’où la difficulté à l’appréhender. En même temps, on remarque de plus en plus souvent la marque d’un ancrage dans la durée de cette situation théoriquement temporaire et cette étude s’efforce de montrer que des comportements spécifiques s’y développent.

C’est un espace défini comme urbain mais installé dans le rural, donc il tire des éléments des deux. On y trouve de fortes densités mais moindres que dans le centre de la ville, parfois même inférieures à celle de certains gros bourgs ruraux. Le paysage y est encore assez verdoyant, évoquant la campagne. Surtout, les déplacements y sont très importants sur un espace large et ouvert. En même temps, les relations sont incomplètes et souvent insatisfaisantes car écartelées entre l’espace de proximité immédiate, très désiré mais encore incomplet, et celui plus large de l’ensemble de l’aire urbaine, incomplet aussi du fait de distances qui commencent à devenir importantes.

A partir de ces éléments, se pose le problème de la représentation de ces différents espaces.

Notes
599.

BRUNET et al. Dictionnaire. Op. cit. p. 442.

600.

CHARRIER, J.B. Villes et campagnes. Masson, 1988, p. 11.

601.

BASTIE, J. et DEZERT, B. La ville. Masson. 1991, p. 13.

602.

CHAPUIS, R. Ruraux. Op. cit.

603.

MARCONIS, R. Op. cit.

604.

KAYSER, B. Agriculture. Op. cit.

605.

LE GLEAU, J.P., PUMAIN, D. et SAINT-JULIEN, T. Villes d’Europe: à chaque pays sa définition. Economie et statistique. INSEE, n°294-295, 1996, pp. 9-24.

606.

Idem, p. 10.

607.

Idem, p. 11.

608.

BENOIT-GUILBOT, O. Op. cit.

609.

IAURIF. Institut d'Aménagement et d'Urbanisme de la Région d'Ile de France . Culture droit de cité. Les cahiers de l'IAURIF, n°99, Octobre 1991.