3-2-1 Une confrontation fructueuse

Le graphique 4 montre bien le lien entre bal et densité. Un regard plus précis, limité au bal public permet de le compléter (graphique 17): les données de la carte 24, confrontées à la densité, insistent sur son lien avec les faibles et très fortes densités, tandis que les densités moyennes sont beaucoup plus attirées vers le repas dansant.

Graphique 17. La densité détermine le type de bal
Graphique 17. La densité détermine le type de bal

Moyenne nationale: 60%
Source: RGP, 90; SACEM, 95

La comparaison des cartes 48, 49 et 50 et de celles qui décrivent les grands comportements au bal (carte 36 surtout mais aussi 7 et 35) permet d’ébaucher les premiers rapprochements:

Le bal du midi semble attaché au rural le plus traditionnel, celui auquel font référence la plupart des fantasmes relatifs aux campagnes mais aussi au bal: le mythe du petit village isolé, généralement au sud. Les populations communales sont très fréquemment inférieures à 200 610 ou -ce qui correspond plus à la taille des villages qui organisent des bals- 500 habitants 611 .

Ces régions dessinent un ensemble homogène nettement caractérisé par des communes rurales les plus isolées, et ce souvent à l’échelle du canton entier 612 : c’est bien le rural dit profond, ce terme exprimant une connotation péjorative à l’origine mais aujourd’hui fortement valorisée. Le bal semble vraiment lié aux petites communes rurales; il est d’ailleurs symptomatique que dès que cette population communale moyenne augmente, les comportements changent (Aveyron).

Carte 50. Part départementale de la population rurale
Carte 50. Part départementale de la population rurale

Mais gardons-nous de trop généraliser: les gros villages, les bourgs et petites villes organisent un grand nombre de bals: l’armature urbaine de ces régions est peut-être affaiblie mais ils y restent plus vivants qu’on le dit souvent.

C’est ce qui explique par ailleurs qu’on peut trouver une forte activité dans un certain nombre de délégations plus urbanisées: le piémont pyrénéen l’illustre bien, particulièrement les délégations SACEM de Toulouse et Pau. On comprend mieux aussi pourquoi le sud-est méditerranéen a des comportements très contrastés: la démographie et les types d’agglomérations y sont aussi très particuliers, sans qu’il soit même nécessaire de faire appel à la forte immigration 613 et encore moins un quelconque particularisme provençal.

Au nord, les délégations qui prisent les mêmes bals sont d’abord très rurales, ainsi les Côtes d’Armor (carte 50). Mais souvent, cette caractéristique est atténuée (Picardie, Ardennes) alors que leur population urbaine est aussi plus importante. Ce critère n’explique donc pas tous les comportements.

Le bal du nord-est est celui des plus petites communes insérées dans un environnement urbain toujours relativement proche. Le bal s’y est rénové: plus influencé par les modes urbaines (disco-mobile, repas dansant), plus associatif.

Le bal de l’ouest, par contre, semble cantonné dans des régions qui ont gardé de liens avec leurs campagnes. Les communes deviennent grandes sans qu’on y trouve pour autant une population très importante. L’isolement des activités urbaines y est moindre que dans le sud mais en deçà de ce qu’on peut trouver plus au nord. Ce qui distingue le plus cette région de sa voisine du midi, c’est la beaucoup plus faible intensité de la pratique du bal. Peut-on voir un lien, une gradation ? En réalité ce bal de l’ouest est moins rénové que celui du sud. Malgré la télévision ou le mythe d’un village global, on s’aperçoit que les innovations urbaines ne pénètrent pas partout au même rythme. Le bal s’y maintient donc plus traditionnel: petits bals, petits orchestres, importance des municipalités.

Le bal alsacien reste un cas particulier, avec des bals assez fréquents et plus traditionnels, tandis que progressent les densités et surtout s’intensifient les liens avec la ville 614 . Nuançons: s’il correspond bien à l’Alsace, voire à la délégation de Boulogne, ailleurs les comportements sont proches mais divergent facilement. On le retrouve aussi dans les indicateurs de ruralité: progression à l’ouest (délégations du Mans et d’Angers); fort contrastes au sud (délégations de Cannes et Nice).

L’autre exception c’est le bal littoral: ces grandes communes peuplées mais pas très denses ne se distinguent guère de leurs voisines des régions ouest, tant en ce qui concerne les liens avec la ville -peut-être un peu plus intenses du fait de leur taille accrue- ni de leurs comportements au bal. Comme dans le bal alsacien, mais dans un sens contraire, la corrélation entre bal et rural semble bien moins nette. Ce sont les contre-exemples, déjà difficiles à classer parmi les bals.

Dans le cas des autres bals urbains, on peut parler d’une décroissance parallèle de l’intensité des bals et de la présence du rural: dans les cas des métropoles et des zones fortement urbanisées, la campagne joue peut-être encore un petit rôle, qui se limite à un constat de son existence dans les banlieues parisiennes. Dans la capitale elle-même, toute référence à la campagne disparaît: même la perception du bal y est beaucoup plus urbaine; c’est le seul des clichés attachés au bal qui reste urbain 615 ...

Cette première approche semble montrer un lien fort entre le rural et le bal. Mais il importe de bien voir que c’est de manière inégale et selon des modalités qui permettent de parler de types de bals adaptés aux formes de ruralité dominantes. Le rôle des campagnes rénovées semble essentiel dans le processus de différenciation contemporain. Il importe donc d’essayer de confirmer cette première impression.

Notes
610.

Annexe 5, carte A

611.

Annexe 5, carte B

612.

Annexe 5, carte E

613.

Lorsqu’on invoque une déstabilisation due à l’importante immigration (essentiellement nationale) qui y expliquerait le repli identitaire, on oublie qu’elle est forte aussi dans les délégations du sud-ouest citées ici. De même, le niveau d’urbanisation de la délégation de Toulouse est proche de ce qu’on trouve dans le sud-est avec des comportements très différents.

614.

Annexe 5, cartes G, H, I

615.

DUBOIS, Claude. La Bastoche, bals musettes, désir et crime 1750-1939. Editions du Félin, 1997, 413 pages.