3-3 Est-il encore possible de distinguer le rural de l’urbain ?

On a vu que les bals sont généralement plus importants en ville mais bien moins nombreux: la visibilité accrue des bals de campagne (carte 7) est renforcée par le faible nombre d’autres activités concurrentes et le caractère plus ouvert des bals ruraux, qu’il s’agisse de bals publics comme de repas dansants de villages: meilleure visibilité par contraste.

S’y ajoutent également les biais introduits par la représentation des données. Dans le graphique 4, on met en relation la densité de la population et la fréquence des bals, ce qui renforce l’impact démographique, pris en compte deux fois; la plus grande dispersion constatée dans le graphique 17 le montre bien. Les comportements apparaissent moins contrastés.

Surtout, une divergence entre observateurs et public sur la définition du rural -de la campagne- explique l’essentiel de la contradiction. Une part notable des bals ont lieu dans des campagnes périphériques aux modes de vie urbanisés. Ces espaces sont de plus en plus en plus comptabilisés comme urbains par l’INSEE ou les divers enquêteurs mais, pour leurs habitants comme le public des bals, c’est encore la campagne.

Enfin, cette confusion tient aussi à la difficulté à distinguer les bals et leur public. On organise beaucoup de bals dans les campagnes où une partie du public est originaire de villes voisines, même si on verra bientôt qu’il est préférable de ne pas en exagérer l’importance. Cela permet d'affiner l'étude du Ministère de la Culture de 1981, peu claire, qui montrait que les pratiquants du bal allaient danser dans leur localité ou aux environs (le village voisin ? périurbain ?) dans 70,8% des cas 622 et qu'ils allaient "ailleurs" (les vacances ou les périphéries plus lointaines ?) à 44,5%.

Cette capacité d’attraction des urbains voisins est d’ailleurs, selon l’enquête de Renault, un des atouts majeurs pour réussir financièrement son bal. Parmi les 1500 bals étudiés, “dans l'ensemble, le succès du bal est plutôt assuré par une clientèle d'origine urbaine, mais dans des agglomérations peu importantes (moins de 5000 habitants), situées dans des zones d'habitat mi-urbain, mi-rural: comme par exemple à la périphérie de grandes agglomérations ou dans des bourgs insérés dans un tissu urbain assez lâche.” 623 Et la différence est sensible: ces derniers ont un taux de réussite compris entre 80 et 94% quand les bals ruraux atteignent péniblement les 60 à 66% de réussite.

C’est justement ce qu’on voit apparaître à travers la modicité des redevances à la SACEM dans de vastes régions du pays tandis que les repas dansants semblent plus riches (cartes 22 et 28). Or le propre de l’évolution démographique de la France depuis les années 70 tient dans le renforcement de ces périphéries urbaines qui se prétendent campagnardes. On peut donc supposer que ces tendances n’ont fait que se renforcer.

S’intéressant à l’évolution des relations ville-campagne dans la région niçoise et montrant l’uniformisation des deux, dans un mode de comportements très urbain, Bessaignet 624 précise qu’“il est clair que les processus d'urbanisation et d'ex-urbanisation en oeuvre dans la région, ont pour effet, dans le même temps qu'ils font se rejoindre la ville et la campagne, d'éliminer l'ancienne ségrégation entre les catégories de fêtes (fêtes touristiques et fêtes rurales) et de mélanger, ou plus précisément d'intégrer, sur le plan sociologique fêtes côtières et fêtes de villages, fêtes nées de la saison touristique et fêtes traditionnelles.

En redistribuant la population urbaine dans les campagnes, l'ex-urbanisation aboutit notamment à faire entrer les fêtes de village dans le cycle de la vie urbaine, dans le fonctionnement général de la conurbation azuréenne; d'une part, parce qu'elle introduit dans les communes rurales une population de citadins qui trouve avantage à reconstituer et étendre, à ses propres fins, la sociabilité communale, d'autre part, parce que cette population apporte, justement, avec elle le style de sociabilité urbaine qui est celui des villes de la Côte.

En faisant partager à tous une même culture métropolitaine, les moyens de communication de masse (la télévision en particulier) font le reste. Les fêtes rurales deviennent fêtes urbaines bien qu'elles aient toujours les villages pour cadre. Loin de disparaître, ces fêtes se restructurent; par là, elles se renouvellent et ajoutent à leurs raisons de se perpétuer.” Il en vient ainsi à conclure à l’obsolescence de la partition entre rural et urbain.

Bien que moins important et surtout très circonscrit, un second type de population urbaine joue un rôle proche dans les bals ruraux: c’est dans les régions touristiques. A Laruns (Pyrénées-Atlantiques), on organise 9 bals dans les seules périodes du 14-juillet et du 15 août (carte 17), pendant qu’à Eaux-Bonnes, distant de 5 km, il y en a 6 ! Les plus grands bals à Barcarès (Pyrénées-Orientales) peuvent attirer 6000 personnes, presque toutes de passage. Mais l’enquête auprès des orchestres autant que l’observation amène à isoler ces cas, finalement rares, même dans des régions touristiques: la présence de touristes est signalée, mais souvent réduite.

La principal explication, tient donc dans la perception de cette ruralité. Mais les mêmes tendances sont à l’oeuvre dans l’image de la région comme celle du local.

Notes
622.

Doubles réponses possibles.

623.

RENAULT, P. Op. cit. p.68-69.

624.

BESSAIGNET, P. Op. cit.