5-1-2 Les habitants du village.

Mal identifiés par l’enquête sur les parkings, sinon par omission, mais au centre du processus, les habitants du village sont liés aux organisateurs et participent activement assez souvent. Leur part dans la population totale de la commune est forte, surtout si celle-ci est petite: à Lilhac (Haute-Garonne), au moins 60 des 90 habitants, selon l'organisatrice, alors qu’il s’agit pourtant d’un bal musette, a priori restrictif puisque spécialisé. A Tuchan (Corbières), même proportion 663 .

A partir d’un seuil de population variable selon la taille du bal, ils sont les plus nombreux dans le public. Cela induit deux comportements très différents: dans les plus petits villages, surtout dans le sud, cette fête où les habitants sont minoritaires leur permet de rappeler leur existence aux habitants des communes voisines, mais aussi de recueillir quelque argent qui va ensuite souvent permettre d’organiser une autre fête entre eux, repas dansant ou banquet par exemple. On a donc deux fêtes du village: l’une tournée vers l’extérieur, l’autre vers la communauté villageoise. Le public de celle-ci est alors un groupe clos dont la population peut même parfois se révéler plus restreinte que celle du village. Ce cas rare, lié à l’évolution migratoire de la population du village, est cependant révélateur.

Karnoouh a montré 664 que dans une société villageoise on distingue toujours deux catégories de personnes: les parents et les étrangers. Le terme de parents est trompeur: il désigne en effet la parentèle ordinaire mais aussi tous les villageois d’origine. Cela demande explication: les co-résidents du village, surtout si sa population est réduite, sont implicitement reconnus comme des amis, sans qu’il y ait forcément alliance, officielle ou non, et à plus forte raison consanguinité. Les repas dansants de campagnes, dans le Gers, en Aveyron ou dans l’Orne, parmi ceux évoqués dans cette étude mais c’est aussi valable pour un grand nord-est du pays ou en Picardie, sont considérés comme des repas de famille. C’est la raison pour laquelle à Maspie-Juillacq-Lalonquère chaque village de la commune réserve l’accès de son repas dansant à ses habitants et quelques rares invités triés sur le volet 665 .

Cette parenté fictive mais forte explique bien des difficultés -et parfois l’exclusion- des néo-ruraux à se faire reconnaître: leur activisme, leur forte implication dans l’organisation des fêtes n’est pas seulement due à une vision reconstruite de la campagne. Celle-ci est plutôt une réponse, peut-être exagérée, à la découverte d’une réalité plus difficile que prévue pour s’implanter. Leur forte implication est d’abord une tentative pour s’imposer dans le cercle d’amis de la communauté villageoise, ne plus être étranger. D’autres solutions proches peuvent être privilégiées: l’adhésion aux sapeurs-pompiers par exemple. Le plus souvent, comme à Saint-Jean, ils en sont réduits à fonder des associations car ils ne peuvent pénétrer ce réseau informel de sociabilité 666 . Autant que les habituelles divergences de représentation généralement évoquées, l’incompréhension de ce mécanisme de parenté fictive est l’origine de nombreux conflits pour l’appropriation de pouvoirs municipaux, de divergences sur les objectifs et l’avenir des communes rurales entre autochtones et néos 667 .

Dès que le village est plus grand, cette règle de parenté est moins forte. Le brassage de la population est plus important. La définition de l’étranger redevient seulement spatiale. Les néos ruraux sont plus rapidement intégrés.

Dans les bals, la population locale est dominante dans l’ensemble du public. Le bal est alors fête du village pour ses habitants, et les étrangers ne sont là qu’en appoint ou pour témoigner de l’importance de la commune. Les autres fêtes organisées dans l’année, ne seront généralement pas liées à celle-ci, elles auront souvent une fonction de complément pour tel ou tel autre groupe constitutif de la communauté mais bien reconnus par l’ensemble (vignerons, personnes âgés, jeunes de la classe...).

Même si prévalent souvent encore souvent des relations collectives proches de la famille évoquée à l’instant, les liens entre habitants sont moins systématiques, plus fragmentaires, surtout que les apports de populations nouvelles sont généralement plus massifs et déjà anciens. Ce fonctionnement peut apparaître comme intermédiaire entre celui plus collectif évoqué au paragraphe précédent et celui complètement éclaté et de nature différente qui prévaut dans les unités urbaines de grande taille que nous allons bientôt étudier.

Pourtant, plus encore que dans les petits villages, c’est-là que le public est le plus diversifié: ainsi les enfants et les personnes âgées qu’on peut y voir, sont-ils généralement du lieu. Cette diversification sera aussi sociale, avec comme pour les groupes d’âge des distorsions dans les effectifs des groupes sociaux: avec ceux du 14-juillet dans les grandes villes, ces bals sont les plus populaires. Ici, il s’agit généralement d’ouvriers ou d’employés, dès que les villes deviennent plus grandes. C’est aussi le cas des régions touristiques du sud. Sans surprise, c’est dans les plus petits villages que la proportion d’agriculteurs est la plus forte. Bien sûr, selon la situation locale, ces répartitions peuvent changer: autour de Lure (Haute-Saône) les ouvriers sont nombreux dans les bals de petits villages du fait de l’importance des usines de Sochaux et Montbéliard. De même dans les Vosges ou le Jura. Cette situation se retrouve probablement dans bien d’autres régions où les campagnes sont industrialisées.

Fort logiquement, le niveau d’interconnaissance est très fort parmi cette population du village, mais avec des variantes liées à sa taille. Elle reste importante mais diminue beaucoup parmi le second groupe qui compose le public: la population des villages voisins. De fait, les trois groupes qui restent sont composés d’étrangers. Mais, entre eux, de subtiles nuances distinguent sans appel plusieurs populations fondamentalement différentes.

Notes
663.

Annexe 3

664.

KARNOOUH, C. L’étranger ou le faux inconnu. Ethnologie française, n°1, 1972.

665.

DI MEO, G. Territoires. p. 99.

666.

SEGALEN, M. De la sociabilité au réseau. Op. cit.

667.

KARNOOUH, C. La démocratie impossible, Parenté et politique dans un village lorrain. Etudes rurales, n° 52, 1973.