5-1-7 La fin de la communauté villageoise traditionnelle ?

On voit se dessiner un bal public qui attire une population finalement assez locale et surtout impliquée: on ne vient pas au bal par hasard mais parce qu’on a un lien, même ténu, avec la localité. Le plus souvent, ce lien se révèle fort car il s’agit pour la population concernée de se définir. On voit ainsi se perpétuer le modèle de la communauté villageoise 682 alors que la civilisation paysanne à laquelle il était lié a disparu depuis un siècle 683 . La mise au point du bal du 14-juillet et son extension à l’ensemble des bals publics ont fourni, à la même époque, le support qui a permis à ce mode de définition des communautés de survivre. C’est probablement aussi ce qui explique l’adhésion rapide et enthousiaste de la population à cette fête. Aujourd’hui, il est menacé par trois facteurs liés entre eux:

Les mouvements de populations multiplient les populations intermédiaires: les présents-absents (émigrés du pays comme résidents secondaires ou retraités retirés au village une partie de l’année), les néos-ruraux, les touristes de passage.

L’irruption de plus en plus rapide des modes urbaines et, plus largement, l’adoption d’un fonctionnement urbain.

  1. La dépopulation. Elle est bien réelle et très commentée dans les régions les plus reculées, où le vieillissement actuel de la population laisse supposer des divisions par deux ou trois des effectifs des villages d’ici une vingtaine d’années. Plus de (très) vieux et de moins en moins de monde: qui fera la fête ? Le plus grave concerne en fait les communautés moins menacées démographiquement, avec une population qui souvent augmente à nouveau depuis 10 ou 20 ans: il s’agit de mouvements quotidiens, pendulaires, qui vident chaque matin le village de sa population. La fête était complémentaire d’une vie commune permanente dont elle avait aussi pour fonction d’atténuer les tensions. La disparition de ce pan de la vie collective lui ôte une de ses principales finalités tout en suscitant la concurrence d’autres espaces, d’autres territoires, d’autres préoccupations, et en affaiblissant considérablement l’interconnaissance.

Ce modèle de structuration spatiale multi-séculaire est donc menacé et la définition de la ruralité proposée par Kayser 684 , confiant dans ses capacités d’adaptation, apparaît ainsi très optimiste. On voit évoluer les bals publics vers trois directions:

les petits repas dansants ruraux: repli frileux, synonyme souvent de situation communautaire très menacée, parfois désespérée.

Les repas dansants associatifs: ce qui revient à entériner l’urbanisation des campagnes.

Les grand bals publics avec un événement festif ou artistique majeur, qui permet d’attirer une clientèle nombreuse. Mais il convient de rappeler que ces bals sont rares; surtout l’objet du bal change alors complètement: comme certains repas dansants, ils deviennent vraiment un loisir et n’ont plus aucune vocation communautaire.

Les bals de société clos s’opposent par bien des points à ce bal traditionnel, car ils ont un public différent, avec une orientation plus septentrionale et sont plus typiques de l’hiver, découpage saisonnier pris au sens large puisqu’ici il s’agit de la période qui va de mi-septembre à mi-juin. Mais ils se distinguent aussi par le recrutement de leur public, bien que la distinction soit nuancée et progressive.

Notes
682.

MUCHEMBLED, R. Société, culture et mentalités dans la France moderne. XVI e -XVIII e siècle. Armand Colin, coll. Cursus. 1990, ed. 94, 187 p. NEVEUX H., JACQUART, J. LE ROY LADURIE, E. L’âge classique des paysans. Op. cit.

683.

WEBER, E. Op. cit.

684.

KAYSER, B. Agriculture et monde rural: quel avenir ? Op. cit. p. 173.