5-2-2 Les bals ethniques

Les fêtes des communautés étrangères pourraient peut-être fournir un autre type de bal très fermé justifiant ainsi l’appellation, généralement fortement péjorative, de fêtes ethniques. L’apparition récente de ce mot sert à dénoncer, non sans arrière-pensées 687 , un processus supposé de fragmentation de la communauté nationale. On va voir qu’il n’en est rien, que souvent au contraire, ces fêtes sont une médiation, assez rapide en sus, qui favorise une intégration progressive, établissent un pont entre les usages de deux sociétés différentes.

Seconde critique: ils se multiplieraient. En fait, le cas est plus rare puisque sur la frange des villes qui accueille les grands ensembles d’habitat populaire, l’activité festive collective, sous toutes ses formes, est bien moins importante qu’ailleurs; c’est même une des caractéristiques majeures de ces espaces. Mais on se gardera de systématiser: à la cité des Clochettes de St-Fons (Rhône), en prolongement des Minguettes, les différentes communautés d’origine étrangère, surtout les portugais, sont à l’origine de fêtes assez fréquentes, partiellement ouvertes à d’autres convives. Il s’agit souvent de repas dansants.

Il est en effet surprenant de voir que cette importante communauté portugaise de Lyon 688 se rassemble sur des bases larges, régionales, lors de grands concerts ou pour la célébration du 25 avril 689 . Mais elle retrouve une configuration plus territorialisée lors d'événements de moindre importance, en n’hésitant pas à y inclure des voisins non lusophones. Ce paradoxe explique que les annonces des organisateurs soient exclusivement en français, alors qu’elle sont bilingues, plutôt en portugais, dans les grands événements.

Les mêmes remarques peuvent être faites au sujet des fêtes des berbères marocains, bien que ce soit moins net du fait de leurs formes différentes: en effet, s’opposent alors les concerts (dansants souvent) de la salle de la Cigale de Lyon, à publicité large, et les mariages, plus territorialisés (mais moins que les repas dansants portugais) et ouverts aux voisins de toutes origines.

Dans les deux cas, s’opposent une représentation de la région d’origine 690 assez restrictive et une représentation de la localité de résidence beaucoup plus ouverte, mais pas totalement: à St-Fons, le 21 juin 1985, la population d’origine portugaise représentaient une grosse moitié du public. Dans les mariages maghrébins, l’importance la famille, venue souvent de toute la région, voire au-delà, atténue la part des résidents de la localité. Mais hors famille, il semble que la proportion de voisins de toutes origines est plus forte que dans l’exemple portugais.

On peut donc se demander si cette ouverture, n’est pas le début d’un processus de création d’une véritable communauté territorialisée sous l’égide des groupes les plus structurés. Ce serait une étape intermédiaire, avant l’intégration, comme dans le cas des bals antillais 691 . Mais cette communauté serait alors limitée à une petite partie de l’agglomération, sinon une commune ou un quartier, car on est généralement dans des métropoles vastes. On n’y habite pas toujours, mais on s’y rallie; on y vient pour faire la fête.

En effet, cela suppose aussi des densités assez importantes de populations originaires d’une même région sur un espace limité. Antoine Larcher descendant des fondateurs du Bal des familles, une institution du musette dans le quartier de la Bastille dès le début du siècle, est aujourd’hui à la tête d’un orchestre du même nom qui joue des musiques antillaises et mauriciennes. Il explique que lorsqu’il joue à Paris, le public est composé d’une bonne moitié d’originaire des îles, donnant à son bal une ambiance nettement créole. Par contre, dès qu’il tourne dans des villes où cette population est moins nombreuse, “c'est le carnaval !”: la référence ethnique, déjà réduite même à Paris, s’estompe, on y vient de toute l’agglomération comme on ira, un autre jour, dans un restaurant exotique.

A terme, ce sera probablement le sort des musiques portugaises et arabes: le raï, diffusé dans des concerts où l’on danse, avec un public très ouvert, préfigure probablement le début de ce mouvement, révélateur d’une intégration culturelle avancée.

Le bal ethnique se révèle ainsi nettement moins communautaire qu’on pourrait le croire. Il se transforme vite en un bal spécialisé. Mais, à la différence du bal musette (du moins aujourd’hui) ou du bal des jeunes, c’est une activité de loisir plutôt urbaine et sans identification spatiale précise. On la trouve déjà, dans les grandes agglomérations, dans des bals fixes et spécialisés qui proposent des musiques jadis ethniques sans lien véritable avec une population spécifique, brésilien, flamenco et même auvergnat: le Balajo, haut-lieu du musette parisien pendant près d’un siècle, fait aujourd’hui alterner, selon les jours de la semaine, musette et musique africaine, pour une clientèle de jeunes cadres...

Notes
687.

Il s’agit aussi de bêtise dans le cas de journalistes qui croient voir naître une situation à l’anglo-saxonne.

688.

Avec 100 000 personnes elle est équivalente à celle de Coïmbra, 3e agglomération du pays.

689.

Anniversaire de la Révolution des oeillets le 25 avril 1974.

690.

Bien que ces fêtes soient ouvertes à l’ensemble des portugais, rappelons cependant que la plupart des portugais résidents en France sont originaires de la moitié nord du pays, particulièrement les régions montagneuses, soit 20 à 30 000 km2. Dans le cas des concerts berbères, même les marocains non-berbères (appelés significativement arabes ou même bédouins) comme les autres natifs du Maghreb sont rarement très nombreux.

691.

JACOB, E. Op. cit.