6-2-2 Une autre logique spatiale

Si on ne peut employer le terme de communitarisme, réservé généralement à des groupes ethniquement distingués, il demeure cependant que le fonctionnement de ces associations, théoriquement ouvertes à tous mais en fait soigneusement balisées pour éviter ou limiter les intrus, s’y apparente fortement. Par la constitution d’un réseau de différentes associations auxquelles on participe, on adhère alors à un groupe social beaucoup plus sélectif que celui défini par le bal public.

Ce bal clos est certes spatialisé (carte 63), mais son rayon d’attraction est souvent plus large, moins prégnant, il comporte des trous, des espaces niés, inexistants. Ainsi, toujours à Cugnaux, parmi les personnes qui viennent de Toulouse, seuls deux couples habitent la partie sud du Mirail, la plus proche pourtant, mais surtout constituée de grands ensembles. Parmi eux, une dame précise bien qu’il s’agit des Muriers, un ensemble de maisonnettes dont la population se distingue nettement de celle, défavorisée et plus marquée par l’immigration, du quartier d’habitat collectif de Bellefontaine qu’il côtoie. Il y a bien territorialité mais en réseau, qui renforce la sélectivité et selon des considérations où le désir de se situer socialement prime.

On ne tente pas d’agréger la totalité des membres du territoire, on les sélectionne et, ce faisant exclut ceux qui ne font pas partie du champ social qu’on s’est défini. Il ne s’agit plus de refonder, d’entretenir une communauté mais d’en créer une, idéale car débarrassée des importuns, de ceux qu’on ne veut pas côtoyer: il n’y a jamais de marginaux dans ces bals (schéma 11): certains évoquent un “néo-communitarisme doublé d’un utilitarisme cynique” 736 . En apparence plus modéré, moins définitif, Debarbieux n’en est pas moins sceptique: “ Ici ou là, on diagnostique, parfois sur le ton de la prophétie, des changements sociaux majeurs remettant en cause nos modes d'identification et notre inscription dans les multiples champs sociaux qui s'offrent à nous. On trouve chez de nombreux sociologues et quelques géographes, l'idée qu'une recomposition sociale serait à l'œuvre aujourd'hui, au bénéfice de groupes de petite taille et à forte identité. Et au sein de ces groupes, on assisterait à une réinvention du lieu comme prétexte et contexte à l'expérience collective. Ce lieu fortement investi de sens par le groupe émergerait au sein d'espaces plus indifférenciés, pratiqués certes mais de façon superficielle et purement fonctionnelle.
Ces analyses ne sont probablement pas sans fondement; des indicateurs témoignent en leur faveur. Elles pourraient suggérer qu'il existe de nouveaux usages sociaux du lieu comme symbole. En les prolongeant. on pourrait raisonnablement envisager que, dans certains contextes, le lieu devienne un objet symbolique comme un autre, manipulé, affiché comme un emblème, indépendamment de son inscription spatiale et de son attache territoriale: lieux sans territoire, symbole sans spatialité. Mais les évolutions signalées ne sont pas encore suffisamment sensibles, ni suffisamment avérées, pour imposer que toutes les analyses existantes des systèmes symboliques soient amendées. 737

Figure 11. Le bal de société
Figure 11. Le bal de société

C’est bien la dualité, le glissement de l’un à l’autre, que montre le bal et son évolution. C’est par cet aspect que le bal public est fondamentalement différent du repas dansant périurbain. Par rapport à la communauté que symbolise le bal public, bien réelle, celle-ci est au contraire une communauté rêvée et utopique. On peut reprendre les caractéristiques évoquées dans cette citation et les confronter à la définition d’une communauté utopique, la concordance est édifiante.

Notes
736.

JAURÉGUIBERRY, Francis. Op. cit. p. 131.

737.

DEBARBIEUX, B. Op. cit. pp. 110-111.