6-3-2 Se méfier de la rigidité des modèles

L’analyse qui précède est valable pour la plupart des bals d’association clos, c’est à dire un bon tiers des 160 000 bals. Ce sont ceux qui, notamment par l’intermédiaire des repas dansants périurbains, se développent actuellement. Pour autant, il serait caricatural de ne pas la nuancer et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, ces bals ont un caractère plus ou moins clos. Une publicité limitée, sur un territoire restreint, permet souvent d’introduire un public plus diversifié avec des pratiques moins rigides. A Cugnaux, c’est le cas pour une dizaine d’habitants de la commune qui n’ont pas de liens avec les organisateurs ou l’école en général si ce n’est qu’elle est sur la commune: un retraité explique ainsi que “nos enfants sont grands depuis longtemps, mais on continue de venir tous les ans.”

Car la seconde et peut-être la plus importante variable tient dans le degré d’utilité collective de l’association: les parents d’élèves ont une fonction communautaire plus importante qu’un club de tennis, leur ouverture est donc généralement plus forte. A l’observation, les bals d’associations les plus fermés sont ceux de groupes professionnels très identifiés (bals de la police, le repas dansant des syndicalistes de l’Education Nationale par exemple) ou les associations de résidents, malgré leur définition spatiale a priori plus forte.

Mais ce n’est pas toujours le cas: contrairement aux exemples cités plus haut, dans le nord du pays, les bals de la police en Rhône-Alpes font souvent l’objet d’une abondante publicité, d’une ouverture bien plus nette, et tentent de se rapprocher, sans toutefois susciter la même adhésion collective, des bals de pompiers. La sélection y est seulement introduite par le prix élevé de l’entrée.

De plus, le caractère fortement sélectif d’un bal ne résulte pas toujours d’un choix: dans le cas du bal de l’association d’hémato-oncologie des enfants de l’hôpital de Purpan à Toulouse en avril 98, il est évident que, malgré une assez large publicité, la plupart des participants sont certes très strictement définis par leur lien avec un enfant malade mais sans l’avoir voulu.

En fait, la troisième variable tient au mélange des deux types de manifestations sur un même territoire, ainsi à Portet ou Blagnac (Haute-Garonne). Parfois, il s’agit de la même association organisatrice: les bénéfices d’un grand bal public, souvent en été permet de subventionner les activités plus restreintes de l’hiver. Dans les communes touristiques, c’est une stratégie adoptée depuis longtemps par les associations. On a déjà évoqué la Commission des fêtes de bienfaisance d’Azille dans l’Aude qui joue en été le rôle de comité des fêtes et en hiver utilise l’argent gagné à cette occasion pour les activités du troisième âge. En ville, c’est la motivation originelle des bals de prestige organisés par la Croix-Rouge. Mais à Cugnaux, les bénéfices du repas dansant permettent aussi de payer une partie du voyage des écoles en fin d’année.

D’autres facteurs sont aussi susceptibles de surdéterminer des différences d’attitude: différences régionales d’abord avec un net décalage nord-sud, toujours selon la même ligne Le Havre-Grenoble. Les régions les plus méridionales, probablement sous l’influence des très nombreux bals publics, connaissent un moindre développement des pratiques restrictives. Il demeure que, me présentant à un repas dansant à Castanet-Tolosan, une banlieue huppée de Toulouse, on m’a refusé l’entrée...

La taille de l’unité urbaine et sa situation jouent aussi un rôle majeur. Ces comportements sont surtout le fait des périphéries des grandes villes marquées par la “dilution métropolitaine”. “L'extension des métropoles entraîne leur fragmentation: multiplication des pôles à vocation centrale au dépens de la centralité elle-même, cloisonnement des quartiers, qui atteint parfois la mise en ghetto, pulvérisation de la vie sociale par les pavillons familiaux; les aires métropolitaines, sans mesure ni centre ni repère, deviennent incontrôlables.” 783

A l’inverse, on a vu que dans les petites villes, notamment celles isolées ou du sud du pays, les bals publics jouent un rôle important jusqu’à une taille assez importante, supérieure parfois à 10 000 habitants: ainsi à Pamiers (Ariège). Plus généralement, les tendances mises en valeur à l’intérieur du pays ne sont surtout pas rigides et absolues: le bal de Cugnaux est au sud, à l’inverse on organise un loto à Chevrières dans l’Oise pour subventionner le club de foot-ball.

Il demeure que le faible impact d’autres facteurs surdéterminants évoqués dans les chapitres précédents (économie, cultures régionales, cultures spécialisées, religion, situation sociale du public...) explique que ces deux types d’attitudes socio-spatiales restent dominants. Elles influencent fortement les comportements, même s’il serait hasardeux de conclure à leur prévalence systématique, du fait de la fluidité des modes d’organisation qui laissent beaucoup de nuances subsister.

Notes
783.

PINET, Jean-Marc. Op. cit.