2- Le portrait d’une France avec bals

160 000 bals par an qui drainent un public équivalent à la population française, ce n’est pas rien; cela en fait un loisir majeur du pays . En moyenne, chaque semaine une commune sur dix est concernée . Mais ce chiffre ne veut rien dire puisque malgré l’homogénéisation progressive des comportements, on constate l’extrême diversité des situations, dans l’année, dans l’espace, dans les modalités d’organisation, dans les attentes .

Homogénéité et diversité. On en effet surpris de voir qu’une activité aussi connotée : vieillotte, rurale, populaire et jeune, concerne en fait la plupart des groupes sociaux et progresse chez les moins pratiquants . Le changement est particulièrement net si on considère le public du bal sous l’angle de sa répartition par âge et par lieu de vie et les évolutions récentes . L’homogénéisation des comportements révèle une image du bal qui change. Pas partout encore: tant du côté des professionnels de la culture que du côté de certaines catégories sociales influentes on reste méprisant : c’est ce qui explique sa discrétion . D’autres, souvent les mêmes, le redécouvrent parfois bruyamment et l’enferment dans un folklorisme tout aussi stérile car caricatural .

La diversité du bal est importante. Deux facteurs l’expliquent : l’intensité de la pratique, la variété des pratiques . Car, et cela les renforce, les remarques sur l’importance du bal ne sont valables que pour les trois quart du territoire et les deux tiers de sa population . Surtout, ces manifestations vont y prendre des formes adaptées à la diversité des situations . C’est le principal intérêt de l’outil pour le chercheur . Il souligne l’adaptation des modes de vie aux changements survenus depuis une génération dans la localisation des hommes et des activités . A ce titre, la carte 25 est la plus intéressante : elle montre la pérennisation progressive de situations auparavant considérées comme transitoires, la tentative d’adapter l’espace vécu à un espace de vie fondamentalement différent car il ne repose plus sur la même conception du territoire .

Bien que cette évolution dessine de grands ensembles qu’on peut retrouver par ailleurs, on ne doit cependant pas se laisser abuser : il ne s’agit pas du renforcement de supposées spécificités culturelles régionales mais plutôt de la poursuite de la progression lente des comportements urbains en direction des campagnes de tout le pays .

Bien que rarement exclusifs, on voit ainsi quatre grands types de bals dominer nettement selon les situations :

  • le repas dansant rural se renforce dans le rural le plus isolé, le plus en difficulté, pour lequel le terme de désertification est parfois employé . Fragilisation serait préférable : c’est d’ailleurs à celle-ci qu’on tente de trouver un remède pour pallier la déstructuration des relations sociales qui l’accompagne .
  • le bal public se maintient bien là où la pénétration de l’urbain est encore insuffisante pour ébranler complètement les anciens modes de relation au territoire et à la communauté . Menacé mais toujours dominant, son recul est significatif car il concerne deux situations différentes : des régions où les modes de vie urbains ont investi la quasi totalité de l’espace rural, la délégation de Grenoble par exemple . A l’opposé, c’est aussi le cas des régions où le vieillissement induit par la dépopulation devient très préoccupant : ainsi à l’ouest du Massif Central, Limousin ou délégation de Périgueux .
  • le repas dansant périurbain progresse presque partout : il concerne des auréoles larges et croissante autour des grandes agglomérations au point de dominer dans les régions plus denses où les populations rurales ont dans leur ensemble adopté les comportements des villes voisines .
    Le repas dansant, sous ses deux formes, apparaît ainsi comme l’instrument d’une tentative d’adaptation aux changements .
  • les bals urbains correspondent à une définition restrictive de la ville . Ils sont d’abord rares et n’ont pas de logique territoriale bien affirmée sauf exceptions calendaires (14-juillet) ou locale (le sud, par exemple Toulouse) . Si, dans l’ensemble, les repas dansants n’y dominent pas, c’est parce que les bals y sont généralement très sélectifs, ce qui les distingue aussi des bals publics .

Ces derniers et les repas dansants périurbains représentent la plupart des bals en France . Les repas dansants ruraux, difficiles à évaluer, ne représentent guère plus de 10% de l’ensemble . Les bals urbains restent bien plus minoritaires encore, assez stables, semble-t-il .

Pendant une vingtaine d’année, les repas dansants périurbains ont progressé à une rythme de 1 à 2 % par an . Depuis le début de la décennie, on constate une accélération (3-4%) . L’évolution à court terme laisse supposer la poursuite de l’effritement du nombre de bals publics; au mieux, si le dynamisme de ces dernières années se confirme, une stabilisation . Comme les progrès profitent surtout au repas dansant, il devrait donc pouvoir, d’ici une décennie, représenter la moitié des bals .

Mais, il ne s’agit pas d’envisager une simple substitution . Les repas dansants périurbains ne concurrencent pas directement les bals publics : ils s’installent en sus ou, le plus souvent, dans des communes qui avaient peu ou pas de bals . L’évolution laisse supposer une stabilité des repas dansants ruraux après une implantation rapide . Leur disparition régulière et progressive dans certains villages est compensée par la transformation continue de bals publics dans d’autres, souvent après une phase de coexistence des deux manifestations comme on l’a constatée en Aveyron .