Première partie. Crise de la société

Chapitre un. Violence et ensauvagement

I Introduction

Qu'ils aient effectivement participé au conflit ou non, les écrivains de l'Entre-deux-guerres sont restés profondément marqués dans leur écriture, si ce n'est dans leur chair, par la violence de la première guerre mondiale. Profondément déçu de n'avoir pas pu embarquer à temps pour le combat6, Fitzgerald a infligé les cicatrices violentes de la guerre à la page blanche, à défaut de les avoir ressenties physiquement. Ce motif de violence est présent dans tous ses romans, il est un fil conducteur, un fil d'Ariane qui mène le lecteur d'un ouvrage à un autre, un élément fondamental de sa création romanesque. Cette violence se manifeste de manières variées et crée un monde de bruit et de fureur qui estcertainement la vision fitzgeraldienne de la société américaine des années vingt et trente7. La violence éminemment présente dans le tissu du texte fitzgeraldien serait alors l'expression du symptôme caractéristique d'une civilisation en proie à un malaise aigu. Cependant, au-delà de la peinture sociale assez réaliste, la question se pose sur les significations profondes d'un tel déchaînement d'agressivité. Enfin, quand elle est poussée à l'extrême, le lecteur peut s'interroger sur l'issue ultime de cette violence dont l'auteur sature son écriture.

Notes
6.

- Dans sa biographie, Jeffrey Meyers évoque l'amère déception de Fitzgerald vis-à-vis de sa carrière militaire avortée : "Fitzgerald's regiment was about to leave for France when the Armistice ended the war on November 11, 1918. [...] He wanted to prove his courage, gain glory and win the acceptance of his comrades, and always considered his lack of combat experience one of the deepest disappointments in his life. He equated athletic with military failure, called himself 'the army's worst aide-de-camp,' and in The Crack-Up said the two greatest regrets of his youth were 'not being big enough (or good enough) to play football in college, and not getting overseas during the war.'", Jeffrey Meyers, Scott Fitzgerald (London, Macmillan, 1994), p. 39.

7.

- Le titre d'un article d'Edwin Fussel qui est inclus dans plusieurs recueils atteste de la violence évidente du monde fitzgeraldien : "Fitzgerald's Brave New World", F.Scott Fitzgerald: A Collection of Critical Essays (Englewood Cliffs, N.J., éd. par Arthur Mizener, Prentice Hall, 1963), pp. 43-56.