V Conclusion

La violence qui marque de son sceau tous les romans de Fitzgerald culmine et se dissout finalement après transgression des interdits dans un sacrifice ultime du héros qui ramène paix et fécondité à la communauté. Cette violence dit le désir de chacun et l'angoisse face à la différence. Elle est la conséquence de la fissure interne de tout individu, elle exprime cette division de l'être humain à laquelle nul ne peut échapper.

Si le héros fitzgeraldien est un bouc émissaire progressivement encerclé et mis à mort par une communauté violente tentant de réinstaurer la paix en son sein, il est aussi cerné par le roman tout entier, il est isolé et encerclé par l'écriture, puis livré en sacrifice au lecteur. Ce coup final et fatal est conjointement porté au héros et à l'auteur, qui doit se défaire de son texte pour lui donner vie, puisque la mort de l'auteur conditionne l'existence de l'oeuvre :

‘[...] la voix perd son origine, l'auteur entre dans sa propre mort, l'écriture commence94.
[...] la naissance du lecteur doit se payer de la mort de l'Auteur95.
[...] la marque de l'écrivain n'est plus que la singularité de son absence ; il lui faut tenir le rôle du mort dans le jeu de l'écriture96.’

Comme le déclare Sollers, l'écriture est empreinte d'une extraordinaire violence :

‘L'acte scriptural est un risque qui déclenche le monde des phénomènes, l'éclair, l'orage, la pluie, la foudre, comme sa réponse dialectique, la possibilité d'un chaos castrateur et vengeur venant mutiler celui qui prétend s'y insérer "comme un autre", celui qui veut être simplement "celui", le "celui" de sa volonté pouvant à son tour légiférer dans le texte et dire : "Mais, enfin, c'est comme ça."97.’

L'oeuvre doit passer par le sacrifice de l'écriture pour faire du sens. La violence omniprésente dans les romans de Fitzgerald contribue à la présentation d'un être humain soumis à l'explosion et la division et qui échoue dans sa recherche d'unité ; il est l'homme installé dans le discontinu et le parcellaire et c'est dans cette pulvérisation que l'écriture trouve ses racines. L'acte d'écriture est un acte de violence qui culmine dans la mort de l'auteur donnant vie à son oeuvre selon le schéma classique du sacrifice source de vie :

‘C'est généralement le fait du sacrifice d'accorder la vie et la mort, de donner à la mort le rejaillissement de la vie, à la vie la lourdeur, le vertige et l'ouverture de la mort. C'est la vie mêlée à la mort, mais en lui, dans le même moment, la mort est signe de vie, ouverture à l'illimité98.’
Notes
94.

- Roland Barthes, op. cit., p. 63.

95.

- Ibid., p. 69.

96.

- Michel Foucault, "Qu'est-ce qu'un auteur ?", Bulletin de la société franÿaise de philosophie (juillet-septembre 1969), 63è année, vol. 3, p. 78.

97.

- Philippe Sollers, op. cit., p. 154.

98.

- Georges Bataille, op. cit., p. 102.