Chapitre deux. Guerre des sexes

I Introduction

En 1920, lorsque Fitzgerald fit son entrée très remarquée sur la scène littéraire avec Paradise, il lançait une véritable bombe sociale avec son portrait de la jeune fille révolutionnaire des Années Folles, la "flapper". Il dévoilait alors au public ses habitudes, son comportement et son caractère, à la vive consternation de nombreuses mères victoriennes encore ignorantes des frasques de leur progéniture et au grand plaisir d'une certaine jeunesse américaine ravie de devenir pour la première fois la vedette d'une oeuvre littéraire. Cette jeune fille nouvelle allait rester l'élément primordial de sa vie et de sa fiction. Elle allait faire sa célébrité, mais paradoxalement, elle allait aussi lui coller à la peau jusqu'à l'écoeurement99. Même si de Paradise à Tycoon elle allait vieillir d'une dizaine d'années passant ainsi de jeune fille à jeune femme, elle conserverait néanmoins les caractéristiques essentielles de cette nouvelle femme des années vingt qui ouvrit la voie à un comportement féminin différent de celui du passé, menant finalement jusqu'à certaines prises de position féministes au cours de nos dernières décennies. Si cette nouvelle femme est au coeur de la création romanesque de Fitzgerald, il nous appartiendra de découvrir le portrait social et historique qu'il en brosse ainsi que la représentation littéraire qu'il en a faite.

Face à cette femme, l'homme de l'Entre-deux-guerres, déconcerté, allait devoir s'adapter, modifier son attitude, ou se heurter brutalement à une situation inédite. Il se trouva ainsi entraîné dans une implacable guerre des sexes, conflit central de l'oeuvre et de la vie de Fitzgerald, mais aussi de Zelda, son épouse.

Dans Théorie des exceptions, Sollers déclare : "Pourquoi lit-on des romans ? Assez d'hypocrisie : pour se renseigner sur les situations sexuelles."100. Si Fitzgerald, malgré sa description d'une jeunesse révolutionnaire, est tenu pour un écrivain chaste et relativement puritain dont "la sexualité s'arrête au niveau du visage"101, il est cependant évident que ses romans nous parlent de "situations sexuelles", même si ce discours demeure, la plupart du temps, dans le non-dit, "le degré zéro de l'écriture". Il est clair qu'il nous offre la peinture d'une guerre des sexes implacable, d'une lutte sauvage en corrélation avec la violence fondamentale de son oeuvre. Cette fêlure amoureuse et cette obsédante question sexuelle que Fitzgerald exprime à travers toute son oeuvre constituent de toute évidence l'un des piliers de sa création romanesque. Si les relations entre les sexes passent par le temps de la séduction, il s'agit là d'un premier pas vers le combat des sexes. Hommes et femmes se trouvent toujours en fin de compte confrontés à la séparation tout entière présente dans le substantif "séduction", qui fait écho au "seducere" latin, évoquant la séparation et la coupure. Au coeur de cette guerre des sexes se trouve la différence sexuelle impossible à dire, l'immense séparation indicible contenue dans le mot "sexe" dérivé du latin "secare" faisant référence encore une fois à la séparation. Nous serons donc conduits à conclure en nous intéressant à ce que Fitzgerald nous dit sur ce conflit des sexes, sur cette question sexuelle que se posait une société se dépouillant de ses traditions inhibitrices puritaines et victoriennes, mais qui prenait conscience que la barrière était au-delà de la loi sociale et ne savait l'exprimer.

Notes
99.

- Il écrivit : "[...] I'll go mad if I have to do another débutante, which is what they want." et "If I had anything to do with creating the manners of the contemporary American girl I certainly made a botch of the job.", The Letters of F.Scott Fitzgerald, op. cit., pp. 164, 362.

100.

- Philippe Sollers, Théorie des exceptions (Paris, Folio/essais, 1986), p. 299.

101.

- Georges M.Sarotte, Comme un frère, comme un amant (Paris, Flammarion, 1976), p. 233.