VI Conclusion

A travers sa création romanesque, Fitzgerald essaye de cerner de son écriture certains des mystères fondamentaux de l'être. Déconcerté par les femmes de son époque, il souhaite explorer ce gouffre qui sépare infiniment les sexes et interdit la fusion réparatrice. S'il pouvait percer l'énigme de la féminité, il pourrait peut-être maîtriser la guerre des sexes dans sa vie et dans son oeuvre et évoluer vers la trève. Malgré cette lutte, il dédicacera Gatsby à Zelda d'une manièrequi semble impliquer que tous ses textes lui sont dédiés222 ; elle est en effet l'élément structurant et fondamental de son oeuvre puisque Fitzgerald essayera continuellement, à travers ses héroïnes, de la définir et de la comprendre. Pour l'auteur, amour, sexualité, mort et écriture demeurent étroitement enchevêtrés car, à l'inverse d'Ernest Hemingway, il ne sait pas créer un monde d'"hommes sans femmes"223. Tout comme l'alcool, le sexe sera pour lui un stimulant de l'écriture224, il sera également un sujet d'inquiétude obsessionnelle. L'écriture bâclée équivaudra à un rapport sexuel peu satisfaisant tout comme l'indique le nom obscène du compositeur dont on joue la dernière création aux soirées de Gatsby : Vladimir Tostoff (GG 56)225. Déprimé de devoir produire des nouvelles alimentaires en série aux dépens d'une écriture de qualité, Fitzgerald se plaindra à Hemingway de cet esclavage de prostituée explicitant avec clareté la relation intime entre écriture et sexualité : "'[...] the Post now pays the old whore 4,000 dollars a screw. But now it's because she's mastered the 40 positions -in her youth one was enough.'"226. L'écriture est le moyen suprême de percer et de dire la question sexuelle et l'angoisse qui s'y rattache. Elle permet de la cerner de son tracé, même si celui-ci n'enserre qu'un blanc, un degré zéro de l'expression, car l'auteur pressent plus qu'il ne résout. Il est l'observateur, le découvreur de l'existence de l'énigme, il met le doigt sur le coeur du problème et saisit le danger de la pleine connaissance. Il déroute et déconcerte car, derrière une écriture apparemment profondément romantique, il s'attache à faire surgir la présence du "continent noir".

Notes
222.

- La dédicace est : "Once again to Zelda". Gertrude Stein la trouva d'ailleurs particulièrement charmante, Jeffrey Meyers, op. cit., pp. 129-130.

223.

- Ernest Hemingway, Men Without Women (Harmondsworth, Penguin, 1965), passim.

224.

- Lottie, une prostituée que Fitzgerald rencontra à Asheville en 1935, confia : "I remember him telling me that he only made love to help him write (through excitement and release).", Jeffrey Meyers, op. cit., p. 151.

225.

- C'est à Joyce que Fitzgerald emprunta ce nom propre, le verbe "toss off" signifiant en argot tout à la fois "se masturber" et "écrire au pied levé", "bâcler" un texte.

226.

- Lettre du 9 septembre 1929 à Hemingway, Jeffrey Meyers, op. cit., p. 153.