Chapitre trois. Au seuil des ténèbres

I Introduction

Dans une société en crise, la notion de limite est éminemment présente puisque ce sera toujours par rapport à une norme établie que les individus effectueront les transgressions qui caractérisent des temps de changements et de bouleversements tels que ceux décrits dans les romans de Fitzgerald. Si par ailleurs le franchissement de la limite est un des éléments essentiels de l'américanité227, comme le prouve l'histoire de ce pays, limites et frontières apparaissent alors comme un aspect fondamental de la création romanesque de l'auteur.

Ces limites sont des traces qui sillonnent le paysage du monde fitzgeraldien, mais plus encore, elles sont le reflet d'un univers intérieur psychologique perpétuellement confronté à des frontières et à des lignes de démarcation. Enfin, au-delà de ce foisonnement de limites géographiques et psychologiques, se devine l'inlassable préoccupation de l'écriture comme expérience des limites.

Parfois la limite se fait trouble, elle se dilue en une frange imprécise et équivoque, elle se définit alors, aussi bien géographiquement que psychologiquement, comme le domaine de l'entre-deux, l'antichambre de l'au-delà, mais elle est une fois encore un reflet de l'expérience scripturale. En d'autres circonstances, c'est le promontoire qui tient lieu de frontière ; alors, la quête de l'au-delà attirant et effrayant, situé derrière la limite, signifiera la chute de celui qui a montré trop de curiosité. Finalement derrière ces frontières innombrables qui quadrillent le texte fitzgeraldien, le lecteur découvre un monde obsédant de ténèbres qu'il tentera ardemment de déchiffrer à l'instar des héros, un monde qui est l'inquiétant et captivant domaine de l'énigme humaine et littéraire.

Notes
227.

- Cf. Gilles Deleuze et Félix Guattari, L'Antioedipe (Paris, Editions de Minuit, 1972), passim.