VI Conclusion

Si l'oeuvre romanesque de Fitzgerald se nourrit des failles d'une société en crise envahie par la violence et un conflit des sexes à son apogée, elle est aussi l'exploration de gouffres et de ténèbres intérieures d'une amplitude qui transcende largement l'époque de "L'Age du Jazz". Le constant franchissement des limites, l'errance dans le domaine de l'entre-deux, l'aspiration au promotoire, l'éternel danger de la chute et l'attrait des ténèbres exprimeront, bien plus que le désarroi d'une période sociale de crise particulière, les caractéristiques fondamentales de l'être humain et la complexité de son fonctionnement. L'encre sera alors l'outil qui permet la recherche de la limite, l'exploration de l'inconnu, elle est le fascinant liquide noir qui dit l'être : "the inky sea" (T 39). L'homme apparaît comme essentiellement divisé, mais il offre aussi un espace intérieur source de découvertes innombrables et inattendues à celui qui a le courage de tenter l'exploration, l'écrivain sera cet aventurier quels que soient les risques. Certes, le voyage s'inscrit dans la problématique des années trente, mais il est aussi ce désir d'expérience des limites si caractéristique de l'acte d'écriture. Comme le voyage, l'écriture est à la recherche des limites du moi et de ce qui fonde l'origine. En quête du pays du langage, l'écrivain est un voyageur qui joue continuellement avec la notion de limite car dans cette épreuve réside le plaisir de l'écriture :

‘A la course éperdue des mots, à l'existence énigmatique et oppressante du discours, il faut trouver, sinon une raison, du moins une limite. Quelle limite trouver au langage ? Il n'y en a pas d'autre que celle mise au plaisir²⁵².’

Enfin, si "la jouissance est une limite"²⁵³, le constant jeu de l'écriture avec les limites sera alors une recherche suprême de la jouissance et une tentative pour saisir où se situe cette jouissance humaine si difficile à cerner et à dire.