Deuxième partie. Fêlure de l'individu

Chapitre un. Malaise des origines

I Introduction

Certes l'oeuvre romanesque de Fitzgerald se nourrit de la crise de la société de l'Entre-deux-guerres, mais elle se fonde également sur un conflit plus intime, propre à chaque individu, une véritable fêlure interne. Tout être fait partie d'une chaîne humaine et n'est jamais complètement isolé ; chez Fitzgerald, une des failles principales des protagonistes se situera au coeur de cette chaîne et plus précisément dans leur attitude vis-à-vis de leurs origines. Le malaise des origines relie la plupart des personnages et des romans de Fitzgerald. L'auteur présente souvent des protagonistes caractérisés par le trait typiquement américain de l'auto-création et qui sont donc prompts à nier ou à oblitérer leurs origines. Souvent cette négation de l'ascendance suit le schéma que Freud appelle le "Roman familial" et qui s'applique aussi bien à Fitzgerald lui-même qu'à ses personnages254. Néanmoins, cette attitude n'a pas pour résultat de dissocier irrémédiablement ces derniers de leurs origines et de supprimer tout conflit psychologique lié à celles-ci, bien au contraire, elles demeurent toujours présentes et obsédantes, souvent enfouies au plus secret de l'inconscient. Ainsi, l'auteur nous offre le portrait d'une famille américaine en crise, où la position du père et de la mère est en profonde mutation et souvent en rupture avec la tradition, causant de la sorte de nombreux bouleversements. Il atteste de la difficulté profonde de ses personnages à se positionner comme adultes et à maîtriser leurs questionnements et leurs angoisses vis-à-vis des origines. En ceci il annonce la grande vogue de la psychanalyse qui perdure toujours au sein de la société américaine et met le doigt sur un des problèmes essentiels de l'être pensant : le mystère des origines et les troubles qui en découlent.

Notes
254.

- Voir Henry Dan Piper, F.Scott Fitzgerald: A Critical Portrait (London, The Bodley Head, 1965), p. 4 et Joan M.Allen, Candles and Carnival Lights: The Catholic Sensibility of F.Scott Fitzgerald, op. cit., pp. 63-65.