Pour l'auteur du Crack-Up, le monde apparaît comme fondamentalement fissuré aussi bien du point de vue matériel que psychologique. Dans sa biographie, A.Turnbull rapporte les propos suivants qu'il commente : "'I break people. I am part of the break-up of the times.' (He was always talking of breaking and being broken.)"311. Les romans de Fitzgerald dépeignent un paysage parcouru de multiples fissures où les objets se déchirent et se brisent alors que des cassures de tous ordres font des apparitions régulières et brutales. En fin de compte, cet univers fêlé s'avère être le reflet d'un monde intérieur profondément perturbé. Le héros fitzgeraldien prend progressivement conscience de sa fêlure individuelle et doit alors adapter son comportement en conséquence. La création romanesque de l'auteur s'érige alors sur cette perception d'une fêlure qui fut également une découverte de Fitzgerald lui-même, et ceci tout particulièrement au moment où il publia les essais du Crack-Up. Les héros opposeront à cette prise de conscience des réactions variées mais ne sauront jamais oblitérer la vision interne qu'ils auront eue d'eux-mêmes. Au-delà des cas particuliers, le texte fitzgeraldien dit une béance inhérente à tout individu, une fracture qui est à la source même de l'existence humaine. Plus que la simple évocation d'un moment de dépression et de brisure nerveuse, il dit la fragmentation fondamentale de l'individu, la division essentielle de l'être parlant.
- Andrew Turnbull, Scott Fitzgerald (Harmondsworth, Pelican Biographies, Penguin, 1970), p. 269.