Certes, la fêlure est douloureuse, mais Barthes remarque cependant que c'est dans la faille que se situe le plaisir et l'érotisme du texte357 et que "c'est la faille, la coupure, la déflation, le fading qui saisit le sujet au coeur de la jouissance."358. Si "Vivre, pour l'être qui parle, c'est choisir les chemins de la mort, errer sur les sentiers du manque de jouissance pour la retrouver."359, et si "L'histoire de chacun d'entre nous est le résultat des façons de rater les rendez-vous avec la jouissance et de recommencer à se lancer à sa poursuite."360, alors la fiction de Fitzgerald, à travers ses héros fracturés et toujours en quête d'une complétude impossible, exprime admirablement bien l'errance de l'être. Elle a ainsi une portée bien plus poussée que n'ont pu le laisser deviner tous les critiques qui se sont appesantis uniquement sur son côté romantique, mythique ou social. L'écrivain devient celui qui dit la coupure initiale et tente d'en atténuer la souffrance par l'utilisation des mots ; son "oeuvre tire lumière de l'obscur"361, elle sait cerner quelque chose de diffus et d'évanescent, elle suggère l'inconscient qui appréhende la béance. Fitzgerald affirmera lui-même à Zelda : "What one expresses in a work of art is the dark tragic destiny of being an instrument of something uncomprehended, incomprehensible, unknown-"362. En fin de compte, comme l'affirme Kundera, seul le roman permet de découvrir "l'être de l'homme"363. Une fois encore, l'écriture se définit comme une véritable transgression car elle est une forme de tentative pour retrouver la continuité perdue. Promesse de mort, elle est aussi promesse de complétude recouvrée :
‘La transgression ouvre à la continuité de l'être, elle est l'expérience de la déchirure, de la défaillance de l'être discontinu repérée dans ses orifices, son sexe. Elle correspond au passage, à l'effraction du désir. Voie d'accès par laquelle l'être discontinu se défait, meurt dans une crise brève ou une décomposition définitive en accédant à la continuité364.’Enfin, Fitzgerald nous prouve par son écriture que "le romanesque n'est ni le faux ni le sentimental ; c'est seulement l'espace de circulation des désirs subtils, des désirs mobiles"365.
- Roland Barthes, Le Plaisir du texte, op. cit., pp. 14-15.
- Ibid., p. 15.
- Nestor Braunstein, op. cit., pp. 79-80.
- Ibid., p. 83. Nestor Braunstein cite les dernières pages de Gatsby en indiquant qu'elles constituent une "image de la vie cernant, évitant et reculant la rencontre finale" avec la jouissance, ibid, p. 85.
- Maurice Blanchot, L'Espace littéraire, op. cit., p. 324.
- Nancy Milford, Zelda Fitzgerald, op. cit., pp. 254-255.
- Milan Kundera, L'Art du roman, op. cit., p. 86.
- Jean Louis Baudry, Bataille, op. cit., p. 142.
- Roland Barthes, Le Bruissement de la langue. Essais critiques IV, op. cit., p. 394.