V Conclusion

L'écriture de Fitzgerald semble surgir du déséquilibre. Elle est suscitée par le manque et en trace inlassablement la marque sur le papier. En ce sens où elle est l'expression physique du manque, comme peut l'être la femme, il serait alors possible de qualifier cette écriture de fondamentalement féminine ou, plus précisément, elle serait l'expression du "pas-tout" de Lacan. Comme le corps féminin marqué de la castration phallique, cette écriture porte en elle la blessure du manque fondateur de l'être.

A travers ses héros, l'auteur raconte l'histoire de tout homme, c'est-à-dire ses rendez-vous sans cesse manqués avec la jouissance suivis néanmoins de ses constants sursauts d'énergie pour se relancer à sa poursuite. Son écriture évoque la Chose et la définit comme irrémédiablement perdue. Elle suggère que le sujet doit trouver sa place dans le déséquilibre car la complétude originelle ne peut être recouvrée. Comme l'indique Sollers, le romancier est bien "quelqu'un qui a vu, au moins deux fois, quelque chose qu'il ne devait pas voir, et qui en triomphe."524. Le lecteur de Fitzgerald effectue cette transgression qui consiste à voir la scène originelle à travers son écriture. Cette dernière se conçoit, en effet, comme l'aventure qui fonde l'origine car l'écrivain a effectué ce voyage de l'être depuis les origines jusqu'à la naissance de l'oeuvre sur la page.

En fin de course, dans cet univers pessimiste de Fitzgerald, il est un plaisir unique qui, lui, sera pleinement ressenti, "le plaisir du texte"525. L'acte de lecture consiste à surprendre l'auteur en état d'énonciation, c'est-à-dire "en ivresse, en jouissance, en érection"526, mais il consiste aussi à ressentir intimement ce déséquilibre, cette jouissance du texte car lire c'est créer un espace de jouissance527. Suscitée par le déséquilibre, l'écriture saura aussi provoquer ce dernier chez le lecteur car "tout texte 'textuel' (entré dans le champ de la signifiance) tend à la limite à provoquer ou à vivre la perte de conscience (l'annulation) que le sujet assume pleinement dans la jouissance érotique"528.

Notes
524.

- Philippe Sollers, Théorie des exceptions, op. cit., p. 79.

525.

- Voir Roland Barthes, Le Plaisir du texte, op. cit., passim.

526.

- Roland Barthes, Le Bruissement de la langue. Essais critiques IV, op. cit., p. 401.

527.

- Voir Roland Barthes, Le Plaisir du texte, op. cit., p. 11.

528.

- Roland Barthes, "Théorie du texte", op. cit., p. 1000.