Chapitre trois. Enchevêtrement créatif

I Introduction

L'écriture de Fitzgerald est née du déséquilibre, mais elle le transcende dans un enchevêtrement créatif qui, lui, semble permettre d'atteindre cette harmonie tant recherchée. L'auteur ne résout pas les problèmes qu'il soulève et ne calme pas les angoisses qu'il évoque, mais il cerne de son écriture ce qui inquiète et perturbe tout un chacun, établissant ainsi un contact intime avec le lecteur. Cependant, si sa quête touche à l'essentiel et résonne d'échos familiers, ne serait-ce pas, avant tout, parce qu'il reste dans le non-dit, "le degré zéro de l'écriture"529, pour mieux exprimer ce qu'il ressent et pressent sans jamais le comprendre pleinement ? N'est-ce pas là justement le secret de son intimité avec le lecteur, qui le suit dans son errance avec d'autant plus de facilité qu'il en connaît personnellement le parcours, si ce n'est, lui aussi, que de façon confuse. Aux limites du dicible, la communion se fait parfaite car seul le blanc de l'écriture sait exprimer ce manque auquel nul ne sait se soustraire.

Comment, dans le monde de division qu'il décrit et qui est le lot de tout homme, Fitzgerald réussit-il à échafauder une sensation de plénitude ? Il est manifeste que son écriture sait "montrer le caractère inépuisable de son tissu"530 ; derrière ses signifiants se cache une multiplicité infinie de signifiés qui surgiront d'une fusion avec le lecteur. Jamais distinct de son écriture, Fitzgerald existe par elle et à travers l'acte de lecture qui peut se répéter à l'infini et qui donne ainsi naissance à son oeuvre. Alors que ses personnages échouent dans leur quête d'une fusion parfaite qui s'avère interdite à tout jamais, l'oeuvre devient, elle, au contraire, la création née de l'union intime du lecteur et de l'auteur et la source d'une véritable jouissance partagée au-delà du temps et des individualités. Même aux plus sombres moments de sa "fêlure", Fitzgerald donne vie à l'oeuvre par l'intermédiaire du lecteur dans une plénitude qui nie la discontinuité sans cesse ressentie douloureusement531. Surgie d'un enchevêtrement créatif inépuisable, son oeuvre romanesque incarne la plénitude retrouvée et dit la victoire ultime sur la discontinuité de celui qui n'a cessé d'écrire sur la dissipation, la fêlure et la division. Là sans doute réside le secret de sa réussite littéraire ; bien plus que le chroniqueur de "L'Age du Jazz", il s'avère être celui du destin humain. Par la magie des mots, il offre au lecteur cette même possibilité de retour vers l'Un dont ses romans célèbrent la perte définitive.

Notes
529.

- Cf. Roland Barthes, Le Degré zéro de l'écriture, op. cit., passim.

530.

- Philippe Sollers, L'Ecriture et l'expérience des limites, op. cit., p. 172.

531.

- Cf. Georges Bataille, L'Erotisme, op. cit., passim.