Fitzgerald n'est pas un banal chroniqueur, sa conception du travail de l'artiste l'atteste clairement :
‘The necessity of the artist in every generation has been to give his work permanence in every way by a safe shaping and a constant pruning, lest he be confused with the journalistic material that has attracted lesser men606.’Même si ses romans suggèrent habilement le charme désuet des années vingt, son but ultime n'était pas d'offrir une peinture sociale de son époque. Si son écriture demeure dans le flou et l'imprécis, c'est parce qu'elle évoque bien plus que la réalité offerte aux yeux de tous et les critiques qui lui en ont tenu rigueur semblent être manifestement passés à côté de l'essentiel de sa perception et de son art. En effet, l'auteur jongle continuellement avec le non-dit car sa tâche consiste à suggérer le pressenti et l'indicible. Ses mots recouvrent un autre discours qu'il perçoit instinctivement, celui de l'inconscient, discours qui effraie et qui, pourtant, est au centre des difficultés de l'individu à faire face au manque qui le ronge. En demeurant dans l'inexprimé et l'évasif, Fitzgerald fait appel aux meilleurs qualités d'imagination du lecteur et proclame l'universalité de la béance dont l'oeuvre est l'exploration et dont la douleur est la caractéristique majeure. Cependant, si son oeuvre est l'expression de ce manque, elle est aussi le fruit d'une fusion idéale avec le lecteur qui s'avère sans limites et qui peut se déployer indéfiniment au-delà de l'existence même de l'auteur. L'oeuvre bafoue ainsi les contraintes du temps et plonge au plus profond de l'être, au-delà de la conscience. Cette fusion parfaite consacre une oeuvre dont les ressources s'avèrent inépuisables précisément parce que Fitzgerald n'est pas l'écrivain des faits, mais celui de l'instinctif. Sa perception diffuse des réalités difficilement observables, quoique fondamentales, lui confère une place parmi les plus grands de la littérature, son écriture offrant indéfiniment l'occasion d'une exploration nouvelle et fructueuse. Il demeure à tout jamais celui qui a ressenti le besoin impérieux d'écrire607, celui que l'écriture ne laisse jamais en paix, le vrai professionnel, comme il se plaisait à le rappeler à Zelda : "To have something to say is a question of sleepless nights and worry and endless motivation of a subject, and the endless trying to dig out the essential truth, the essential justice."608. Son oeuvre est tout entière dans l'expression de ce désir d'écrire qui le dépasse car, ainsi qu'il aimait à le remarquer, "On n'écrit pas pour dire quelque chose. On écrit parce qu'on a quelque chose à dire."609.
- John Kuehl, op. cit., p. 4.
- Dans l'article "Who's Who -and Why" du 18 septembre 1920, Fitzgerald écrira : "L'histoire de ma vie est l'histoire d'un combat entre une furieuse démangeaison d'écrire, et une suite de circonstances destinées à m'en écarter.", Larry W.Phillips (éd.), F.Scott Fitzgerald. De l'écriture (Traduit par Jacques Tournier, Editions Complexes, 1991), p. 13.
- Nancy Milford, Zelda Fitzgerald, op. cit., pp. 272-273.
- Larry W.Phillips (éd.), op. cit., p. 98.