Le sonnet

La prédilection de l’auteur pour des formes traditionnelles comme le sonnet confirme sa volonté de faire du texte un espace cerné et structurant. Le sonnet présente une forme fixe, à la fois rigoureuse et dynamique, concentrée et ample. Le recueil de poèmes, Lost Hills, contient une série de neuf sonnets sur un ensemble de douze poèmes courts dans la première partie et deux dans la seconde partie. Tous s’organisent selon le modèle du sonnet shakespearien : trois quatrains aux rimes embrassées (abab, cdcd, efef) suivis d’un distique (gg). « Olympians » en est un exemple :

‘You are important - or assume the air’ ‘Of being so ! Constituents expect’ ‘The prick of your precision, and your flair’ ‘For finding loop-holes is their last respect !’ ‘Yet yesterday our early evening walk’ ‘Went far toward all that care I would untie :’ ‘Compare with any wealth, or any talk,’ ‘First crocus buds, or February sky !’ ‘Put off again those garments of thin pride.’ ‘Love still is sure its little way outweighs’ ‘Each fitful kingdom eagerness has tried ;’ ‘So if you follow, one of these fine days,’ ‘Stumbling and fearful, through a maze of odds,’ ‘We may attain, at last, that gait of gods ! 144 ’ ‘’

Le schéma rythmique du poème est le pentamètre ïambique qui confère au texte régularité et équilibre. L’architecture du sonnet suit un ordre logique : « Olympians » s’ouvre sur un constat énoncé au présent (« You are. »), puis indique une opposition (« Yet »), formule un conseil sur le mode impératif (« Put off ») et s’achève sur une conséquence logique (« So if »). Le sens et la syntaxe, qui habituellement correspondent à la division en quatrains et au distique final, ouvrent ici sur un tercet, modifiant ainsi le parcours habituel du sonnet shakespearien.

« Olympians » est un poème sur l’amour et sur les obstacles au rapport amoureux, notamment la vanité de l’homme. Le premier quatrain accumule des indices qui portent l’empreinte d’un discours dénonciateur. La phrase d’ouverture de type déclaratif (« You are ») et la structure alternative (« or assume the air ») teintée d’ironie articulent une opposition entre apparence et réalité. L’ironie du ton est perceptible dès les premiers mots : par la position initiale du pronom « you » suivi du verbe en italique et du tiret, par la césure et le rejet du verbe « be » au vers suivant et le jeu de . mots scabreux portant sur « prick » et « loophole ». L’homme est prisonnier des apparences. L’image du vêtement, métaphore du masque et de la dissimulation au début du troisième quatrain, atteste cette idée : « Put off again those garments of thin pride ». En outre, l’image de la boucle (« loop ») et la contiguïté phonique des mots « expect », « prick », « precision », « flair » (rimant avec « air ») et « For finding » corroborent l’idée d’enfermement et de soumission. Cette idée trouve un écho dans d’autres poèmes écrits pendant les années 20 et 30, comme dans « Why Should I Wait... » à travers l’image des rouages (« Why should I wait until/ All lettered cogs release you spirit-thin ») et celle du labyrinthe (« wind » 145 ), reprise ici par « maze » dans le distique final. Parallèlement, tout un jeu sur les sonorités est mis en place. Celles-ci saturent le texte et participent de la thématique de l’enfermement. Le sonnet révèle sa dynamique interne et sa texture faite de mots qui s’entremêlent et s’entrechoquent. Aussi résonne-t-il du rapprochement des semi-voyelles (« Yet yesterday our early evening walk/W ent far toward all that care I would untie »), des fricatives (« if you follow »), des occlusives et des dentales (« gait », « gods »), des chuintantes et des fricatives (« each fitfull ») ou encore des réseaux tressés autour des allitérations et des assonances (« way outweighs », « maze », « may », « attain »). Dans le dédale et dans la collision des mots (« Stumbling » figure également les butées du langage), le lecteur tente de délier les nœuds (« untie »). Le poète, quant à lui, vise à créer de l’ordre dans l’imbroglio des mots et des sons et à chercher des points d’équilibre, ceux que lui impose notamment la forme.

Le travail de métissage, c’est-à-dire le rapport entre le langage, la forme et l’écriture est suggéré métaphoriquement dans le distique final par la référence aux dieux de l’Olympe, figures emblématiques de la victoire de l’ordre sur le chaos ou encore de la victoire d’Eros : « Love still is sure its little way outweighs ». L’articulation du présent au futur (« So if you follow », « We may attain ») se fait par le truchement du mythe. « Olympians » se referme sur un énoncé à sens futur porteur de solution, clôture qui s’appuie sur les mots « at last » insérés au cœur du dernier vers. Atteindre la demeure divine des Olympiens signifie traverser un labyrinthe semé d’obstacles (combattre le Minotaure). En outre, suivre la trace des dieux, se mettre dans leurs pas (« that gait of gods »), c’est être transporté, accéder à un ailleurs. L’homophonie entre « gait » et « gate » (la porte céleste) trahit le désir de l’autre et dit le transport amoureux. Cette idée est confirmée par la référence corporelle contenue dans l’étymologie du verbe « attain » signifiant « toucher » et la juxtaposition des mots « attain » et « at last ». Le sonnet est ainsi clôturé (« at last » signale aussi la clausule du texte) mais le son ouvert contenu dans les rimes du distique (« odds », « gods ») prolonge l’impression finale. Par ailleurs, la rime qui sert de liant au poème produit un effet continu. Dans ce sens, elle contribue à ordonner le texte et participe ainsi d’Eros (figure de la fusion, de ce qui « fait tenir ensemble ») et de l’ordre cosmique. Elle en est d’ailleurs le reflet, comme l’écrit à juste titre Henri Meschonnic 146 . Ici les sons se répondent et le retour des rimes boucle chaque strophe sur elle-même renforçant l’unité du poème. De surcroît, le « sonnet » dont l’étymologie l’apparente à la musique, prend ici toute sa signification, dans l’allusion à l’harmonie céleste, à la musique des sphères que sous-tend la référence mythologique aux dieux de l’Olympe.

Par sa forme fixe et stable et par sa texture dense, le sonnet se révèle être un lieu de tension extrême, un objet unifié et autonome, cerné de toutes parts (« Frames well-made/For battle colors ! » écrit le poète dans « Still May Embark... »), comme peut l’être également un tableau.

Notes
144.

Lost Hills, p. 12

145.

Lost Hills, p. 11.

146.

« La rime n’est pas seulement un écho de mot à mot, mais encore l’écho d’un écho qui est son modèle (...) l’ordre du langage deve