La formation entre rupture et suture

Rupture au sens étymologique du terme (du latin rumpere, rompre, briser), c'est-à-dire : "fait de se rompre, de se séparer brusquement en deux ou plusieurs parties, sous l'effet d'une force ou d'une poussée trop intense, d'un effort excessif ou trop prolongé ou d'un choc"2. L'histoire de la formation est pleine de sismicité à l'oeuvre, de mouvements tectoniques au travail qui pourraient, sous la poussée des contradictions sociales, entraîner l'éclatement des consensus autour de l'éducation des adultes : le mouvement des chômeurs de décembre 1997 l'illustrera encore. Mais rupture aussi au sens plus nuancé "d'opposition ou d'une disparité soudaine et marquée entre les éléments d'une suite qui, jusqu'alors, étaient en accord ou en harmonie"3. Il ne s'agit plus, là, que d'un écart momentané de positions tel que le rapport de Virville en fut l'occasion, parmi les partenaires sociaux, lors de sa publication en 1996. Cette logique de rupture que porte en elle la formation prend donc, selon les contextes, un caractère plus ou moins accentué. Mais, que cette rupture soit radicale ou provisoire, la formation semble, en bien des lieux et des temps, une institution clivée en recherche d'équilibre toujours précaire et sans cesse menacé.

Suture au sens de "couture faite pour raccorder des tissus séparés par accident ou intervention chirurgicale"4. Car si l'éducation des adultes est un terrain de rapprochement d'intérêts divergents, ce rapprochement n'est pas toujours naturel et il ne s'opère pas sans volonté et sans artifice. Du liant lui est nécessaire pour exister. L'éducation des adultes, surtout du fait des usages sociaux qui lui sont dévolus, apparaît bien, en effet, comme un point de suture qui participe à une tentative de réduction de la contradiction sociale. Mais, du fait de n'être qu'un lieu de conjonction, elle demeure un espace interstitiel et fragile où peuvent resurgir, avec plus de facilité qu'ailleurs, les questions de toujours. Néanmoins, force est de constater que beaucoup lui octroient volontiers un rôle dans lequel se structure et se cristallise, concrètement et symboliquement, le jeu subtil de la conciliation. Elle soude et organise autour d'elle, même s'il demeure précaire, le consensus. La formation prend alors la fonction d'un "espace transitionnel" où des conceptions antagoniques du monde se rencontrent, s'associent, convergent, font oeuvre commune mais sans jamais renoncer pour toujours à la séparation. Le co-investissement formation, qui vise à réunir dans une même mesure l'effort de l'individu et de l'organisation, témoigne de cette fonction de rapprochement. Mais l'on constate que la reconnaissance de la qualification acquise dans ce cadre juridique, même si elle est prévue, n'est pas acquise, ce qui ne manque pas de mettre en question la qualité et la durabilité de la suture.

Suture, enfin, au sens d'articulation fixe et "immobile caractérisée par deux surfaces articulaires réunies par du tissu fibreux"5, lorsque la formation et ses composantes s'engagent dans des phases de rigidification : par exemple, le passage de mesures conjoncturelles à des dispositifs structurels en matière de formation des jeunes en difficultés d'insertion ou des demandeurs d'emploi de longue durée.

Notes
2.

Grand Larousse universel, Paris, Larousse, 1989, t. 14.

3.

Ibid.

4.

Ibid.

5.

Le Petit Robert, Paris, 1972.