Approche historique

Cette dissociation s'observe dès la première moitié du XIXe siècle, lorsque certains théoriciens sociaux affirment que l'industrialisation exige que le niveau de connaissances générales des producteurs s'élève. Ces nouveaux besoins en matière de formation ne seront pas sans conséquence sur les conditions de vie sociale et professionnelle des travailleurs. Le débat autour des fins de l'éducation des adultes est déjà posé : doit-elle servir prioritairement au développement des organisations ou à l'épanouissement, voire à l'émancipation, des individus.

Pour illustrer cette fissure "originelle", rappelons les points de vue de deux théoriciens dont les positions, tout au long du siècle, serviront de références. Saint-Simon proclame "que l’instruction est nécessaire à l’avènement de l’ère industrielle, il est favorable à l’instruction des milieux populaires. Pour cela, Saint-Simon souhaite que la masse des travailleurs bénéficie d’une formation professionnelle qui les rende capables de bien exécuter les travaux qui leur sont confiés. Mais cette formation ne se borne pas dans son esprit au seul apprentissage du métier. Dans ce but, et tout en affirmant son hostilité à l’enseignement traditionnel fondé sur les humanités classiques, il souhaite pour tous une culture générale de type scientifique faisant appel à des notions de géométrie, de physique, de chimie et d’hygiène"8 qu'il considère comme essentielle à la poursuite et au développement du mouvement d'industrialisation qui s'annonce.

De son côté, Pierre-Joseph Proudhon critique et condamne "une instruction élémentaire qui tend à enfermer le travailleur dans l'étroitesse de ses fonctions parcellaires... à donner à des inférieurs juste le degré de savoir que réclame une conscience obéissante. Cette condamnation de l’école officielle va conduire Proudhon à prôner une instruction s’appuyant sur le métier et s’étendant tout au long de la vie"9. D'une certaine manière Proudhon, déjà, s'inquiète d'une mission strictement adaptatrice de la formation que d'aucuns critiquent aujourd'hui et qui fait clairement partie des objectifs et de la définition de la formation tels qu'ils apparaissent au livre IX du Code du travail. Si, de leur côté, Guizot, Thiers et Duruy, comme le souligne Noël Terrot, n'oublient pas le rôle politique et social de l'éducation, si elle participe à "la nécessaire moralisation des masses"10 et au maintien de l'ordre moral, il est évident qu'elle est aussi pour eux un outil d'adaptation des travailleurs, souvent issus du milieu rural, à la culture et au mode de production et de soumission industrielles. En effet, "il faut fixer les masses à la machine plus encore peut-être que leur donner les moyens intellectuels de la servir"11.

Notes
8.

Terrot N., Histoire de l’éducation des adultes en France, op. cit., p. 38.

9.

Ibid., p. 41, Noël Terrot se réfère ici à Maurice Dommanget.

10.

Ibid., p. 61.

11.

Ibid., p. 61.