PREMIERE PARTIE
CONTRADICTIONS SOCIALES ET FORMATION : ENTRE LOGIQUE DE PRODUCTION DES QUALIFICATIONS ET PROMOTION SOCIALE

Les contributions présentées ici, les unes déjà anciennes, d'autres plus récentes, sont une tentative de compréhension et d'analyse de l'environnement de la formation dans son cadre professionnel et des évolutions de l'organisation du travail, qu'il s'agisse d'entreprises privées et du livre IX du Code du travail ou de la fonction publique et des accords triennaux. Cet ensemble de contributions est, par ailleurs, une réflexion menée sur plusieurs années. Elle permet pour une part de repérer les tendances lourdes qui animent l'univers de la formation, pour une autre de signaler ce qui ne fut qu'un feu de paille. Comme nous l'avons souligné dans l'introduction, le mouvement général de la formation des adultes se structure, dans la seconde moitié du XXe siècle, autour de la formation professionnelle continue en entreprise et tend, en apparence au moins jusqu'à la fin des "trente glorieuses", davantage à la suture qu'à la rupture. Les textes ci-dessous illustrent bien cette tendance. Les premiers, autour de l'analyse d'un sondage de l'IFOP, rappellent l'existence d'un débat encore actuel entre ceux qui souhaitent que la formation soit au service de l'organisation et ceux qui pensent qu'elle doit d'abord oeuvrer à l'épanouissement individuel. Mais ils témoignent aussi d'un dépassement de cette tension fondatrice en abordant la formation sous un jour nouveau : celui de l'investissement. Cette dimension prospective de la formation favorise une réconciliation dans un avenir en développement de l'homme et de l'organisation qui l'emploie, à condition, bien sûr, que les prévisions s'avèrent justes et que les discours deviennent réalité. Au-delà, ces textes attestent le dépassement, assez général, d'une conception de la formation considérée comme une taxe ou un impôt - objet de résistance - à une conception, contemporaine et discutable, où elle est un investissement partagé que les accords sur le Capital-Temps-Formation (CTF) ont renforcée en associant dans une même mesure le plan de formation à l'initiative de l'employeur et le congé individuel de formation à celle du salarié.

Les universités d'entreprises du groupe Thomson et de la Société lyonnaise de banque que nous présentons ensuite, oeuvraient aussi à une forme de rapprochement en tentant d'associer la formation professionnelle, entachée d'utilitarisme, et l'Université réputée détentrice des savoirs nobles. Elles visent à réduire une fracture ancienne entre deux représentations de la formation, à mettre fin au vieil antagonisme entre savoirs techniques et professionnels, fussent-ils de haut niveau, et savoir à visée universelle.

Par ailleurs, ces universités, à l'intérieur des entreprises qui les créent, ont clairement pour finalité de "développer un sentiment d'appartenance" des utilisateurs à l'organisation et d'opérer la fusion - la confusion - entre salarié et associé. Elles se proposent de conduire en parallèle la progression conjointe des individus et de l'entreprise dans une logique que nous pourrions qualifier de saint-simonienne. Enfin, ces universités sont considérées, de manière plus fonctionnelle, comme un outil de gestion des ressources humaines et comme un noeud de communication favorisant le rapprochement entre les différents groupes d'acteurs qui constituent les entreprises.

La notion d'organisation qualifiante que nous aborderons ensuite tend aussi à associer le capital et le travail en mettant en place des organisations productrices de savoirs et de compétences. Elle relance le projet d'adapter le travail à l'homme et non plus de l'y soumettre. Elle s'inscrit dans une conception où l'individu n'est plus en rupture symbolique et/ou en conflit avec une activité parcellisée et éclatée qui l'aliène. De plus, en devenant "apprenantes" les situations de travail réconcilient la production et le savoir dans une même dynamique.

Le droit à la formation des agents des fonctions publiques dont nous traitons dans le chapitre suivant opère lui aussi des rapprochements fondamentaux. Son évolution récente, en effet, marque une convergence du droit à la formation des fonctionnaires et des salariés du secteur privé et met fin à une différence de traitement entre ces deux catégories de la population. Parallèlement, la formation des agents publics est considérée comme un outil de gestion des ressources humaines et comme un levier de modernisation de l'Etat permettant de réduire l'incompréhension et l'écart grandissants entre le fonctionnaire et le citoyen-usager. En bref, la formation se voit dotée de vertus civiques en matière de cohésion sociale dans une république symboliquement "une et indivisible".

Les nouveaux usages de la formation que nous évoquerons pour clore cette première partie relancent, eux, la question de la rupture sociale toujours possible. Car si l'éducation tout au long de la vie prépare l'entrée dans la société cognitive, elle est aussi un outil essentiel pour éviter la marginalisation et l'exclusion d'une part croissante de la population. A condition bien entendu que ne se mette pas en place une formation à deux vitesses, une formation duale à l'image de la société, qui ne ferait qu'accentuer le risque de fracture entre les salariés et les sans-emploi. Néanmoins, rien n'est encore joué complètement et la formation permanente des adultes, au début du XXIe siècle, permettra peut-être de produire à la fois plus de compétences socialement utiles et plus de liberté en instaurant un nouveau contrat social garant de la suture.

Entrons maintenant dans nos contributions et observons comment au fil des années la dialectique rupture-suture est à l'oeuvre.