Il s'agit du second volet de l'analyse et des commentaires d'un sondage IFOP portant sur la formation. Ce texte s'attache à présenter et à expliciter l'usage de la formation dans l'entreprise du point de vue des chefs d'entreprise. Certains aspects des propos tenus semblent aujourd'hui dépassés, celui sur l'évaluation par exemple, d'autres au contraire, hormis les pourcentages annoncés dans le texte, restent actuels comme ceux évoquant comme fonction de la formation "son rôle régulateur" et "sa nécessité pour le bon fonctionnement de l'entreprise", tant parce qu'elle permet "d'améliorer les relations sociales (que) les conditions de travail, (que) d'ajuster les qualifications aux emplois".
Le premier constat 49 à tirer de ce sondage IFOP de juin 1987, sur la place et le rôle de la formation dans les stratégies d’entreprises, aux dires de leurs responsables, est celui d’une certaine évolution. Evolution des discours ou évolution des pratiques ? Les sondages ignorent souvent cette dialectique-là. Toujours est-il, même si cela peut surprendre plus d’un "expert-consultant", que dans les entreprises de plus de cinquante salariés, 64 % des chefs d’entreprise considèrent la formation comme un "investissement productif", tandis que seulement 55 % des patrons d’entreprises de moins de dix salariés le pensent aussi.
Ainsi donc le discours sur la formation-investissement est on ne peut mieux placé dans les moeurs entrepreneuriales. Dans les actes, lorsqu’on connaît la réalité des politiques de formation articulées aux politiques d’entreprise, il n’est pas interdit de garder un léger esprit critique...
Ce sondage révèle d’ailleurs que dans seulement 24 % des cas, les programmes de formation ont été mis au point "en fonction des objectifs généraux d’investissement (et) de productivité fixés à l’entreprise", tandis que pour 34 %, la formation-adaptation demeure un déterminant essentiel.
Pourtant à la question sur l’effort formation, 69 % des employeurs répondent qu'ils vont l’accroître de manière significative pour leurs salariés, les pratiques vont donc évoluer aussi à n’en pas douter. Restons prudents, car dans le même sondage, 43 % des employeurs des entreprises de plus de 50 salariés déclarent avoir consacré moins de 1,1 % à la formation en 1986, et que seulement 19 % de tout l’échantillon y ont consacré plus de 2 %... Chiffre, rappelons-le, inférieur à la moyenne nationale. Formation investissement donc... mais à long terme semble-t-il !
Autre grande fonction de la formation, c’est son rôle de régulateur sur un plan très général. En effet, aux dires de 58 % des employeurs sondés, elle est une nécessité pour le bon fonctionnement de l’entreprise, dans la mesure où elle permet d’améliorer les relations professionnelles (29 %), les conditions de travail (41 %), d’ajuster les qualifications aux emplois (39 %).
Ces dernières indications sont précieuses et donnent une vue plus réaliste de la place actuelle de la formation dans les entreprises. Car, si elle n’est encore qu’un investissement symbolique, elle a toute sa place dans l’entreprise, elle concourt à son fonctionnement technique et sociologique ; et si elle est encore un investissement doublement immatériel, elle n’est déjà plus une taxe, ce qui marque une forte évolution d’où découle logiquement que, dans 72 % des cas, elle est censée pouvoir améliorer les compétences des salariés.
Ce sondage IFOP renforce l’idée que plus l’entreprise est petite, plus la formation se heurte à des difficultés (masse financière disponible, absence...). En conséquence de quoi, 71 % des entreprises de moins de 10 salariés n’ont pas envoyé de salariés en formation depuis 3 ans (juin 1984), quand seulement 9 % des entreprises de plus de 50 sont dans le même cas... Ainsi se repose le problème permanent, non seulement de la mutualisation des fonds mais aussi - et c’est peut-être quelques-unes des formes de l’avenir - de la formation en situation de travail, de l’individualisation, de la fin du recours systématique au "sacro-saint" groupe/stage. Notons une autre cause significative, même si elle est mineure : 17 % des patrons déclarent la formation inadaptée à leurs besoins... Ce décalage entre l’offre et la demande s’accentue encore en fonction de la taille de l’entreprise et de sa spécificité de production de biens ou de services.
D’une manière plus générale, ici l’inadaptation n’empêche pas le départ. La formation est considérée comme inadaptée "aux besoins" par 31 % de l’échantillon, 47 % seulement la considèrent adaptée.
Si les chefs d’entreprise demeurent largement responsables des politiques et/ou du plan de formation, ils préfèrent les stages sur mesure, en intra (41 % pour les entreprises de plus de 50 salariés, 25 % pour les moins de 10, même si cela est rarement possible). Ils considèrent l’offre suffisamment souple à 46 % (61 % pour les plus de 50).
L’évaluation des stages, quant à elle, - le discours en est pourtant intégré - reste une pratique marginale. Elle ne se fait à l’entrée en formation que dans 9 % des cas (13 % dans les entreprises de plus de 50) et à la sortie seulement dans 16 % (22 dans les plus de 50). Ainsi donc 84 % des actions de formations ne sont l’objet d’aucune évaluation formelle. Malgré cela, l’effet formation existe, même si la mesure en reste plus qu’empirique. Car 82 % des employeurs ont constaté une amélioration des qualifications, 48 % un grain de productivité, 35 % de meilleures relations humaines dans l’entreprise ; seuls 1 % d’irréductibles ont constaté des effets négatifs.
Quant aux formations alternées, elles ne touchent pas autant d’entreprises qu’on se l’imagine : 57 % de l’échantillon n’ont reçu aucun stagiaire de ce type de dispositif depuis 1984, dans les plus de 50 seulement une entreprise sur deux en a accueilli. Plus inquiétant encore, 54 % déclarent ne pas être prêts à accueillir les stagiaires en contrat ou en stage de réinsertion (seulement 45 % dans les plus de 50, il est vrai). Ces mesures s’érodent-elles, les chefs d’entreprise sont-ils moins enclins à accepter ce type de "sureffectif" ? La complexité, le nombre des dispositifs et des "statuts" sont-ils la cause de ce malaise ou bien est-ce ici encore une ignorance de ces différentes mesures ?
Autre élément significatif, le rôle dévolu aux instances de représentation du personnel qui contrairement à ce qu’on pourrait croire ont moins "d'influence" que par le passé...
Dans seulement 11 % des entreprises, des "observations ou des suggestions" ont été faites par des délégués du personnel ou le comité d'entreprise (41 % dans les plus de 50) et dans 78 % des cas, il n’en a pas été tenu compte (58 % dans les plus de 50). Quelle interprétation proposer quand un sondage de 1976 du même institut faisait état de propositions syndicales dans 48 % des cas et de leur prise en compte à 95 % ? Les mentalités ont-elles à ce point régressé, les tensions sociales se seraient-elles accrues ? Le fort recul des formations dites de développement personnel est sans doute une explication fondée et raisonnable, l’utilisation du 1,2 % à des fins plus "économistes" aussi. La consultation, la concertation ne vaut-elle que pour le superflu, n’est-elle point de mise pour les "choses sérieuses", pour l’investissement par exemple ?
Pour mettre un terme à cette analyse du sondage IFOP depuis juin 1987 sur la formation vue par les chefs d’entreprises, donnons quelques chiffres clés sur les grandes tendances pour les années à venir.
36 % d’entre eux souhaitent développer l’effort de formation pour rester compétitifs, 21 % pour que la qualification des salariés se maintienne. 28 % néanmoins, souhaitent en rester au niveau actuel (17 % des plus de 50, 34 % des moins de 10). Investissement relatif donc qui, dans 66 % des cas, se développera dans l’entreprise et qui reçoit un avis favorable à 54 % pour l’"internalisation", c’est-à-dire la mobilisation des ressources en formateurs internes (71 % dans les plus de 50).
Résultats à plus d’un titre significatifs, car si les représentations du passé sur la formation s’estompent, ces nouvelles utilisations rencontrent encore certaines résistances ; de la simple taxe d’hier à l’investissement concerté de demain, du chemin reste à faire.
Ce texte a paru sous ce titre dans l'Année de la formation 1987, Paris, Païdeia, 1988, pp. 235-238.
Echantillon national de 307 chefs d’entreprises interrogés du 3 au 9 juin 1987.