Commentaires et analyses

Au-delà du très classique centre de formation continue, au-delà du château rococo transformé tant bien que mal en lieu de séminaire voire en "espace formation", l’université Thomson semble vouée à une triple fonction en matière de management.

La première serait de développer un sentiment d’appartenance au groupe Thomson, mais Jean-Louis Egli souligne avec force qu’il ne s’agit pas de créer entre l’entreprise et les hommes qui la composent un système de sujétion de type féodal ; elle ne vise pas à soumettre les individus mais plutôt à leur permettre de construire une communauté professionnelle autour d’intérêts communs, de savoirs, de métiers, de contradictions et de différences affichées. En effet, quoi de plus suspect et de moins efficace qu’une pseudo-culture d’entreprise préfabriquée et bâtie sur le sable de la volonté de quelques-uns. Il s’agit donc à la fois d’éviter l’uniformité, dont naissent l’ennui et l’appauvrissement sociétal, et de laisser s’épanouir les créativités porteuses de développement potentiel qui, il est vrai, quelquefois bousculent.

La deuxième fonction, et elle n’étonnera personne, est une fonction de production, de capitalisation et de transmission de savoirs et savoir-faire dans une société en mouvement. Là, il s’agit d’une volonté affichée : celle non seulement de produire de la connaissance et de la faire fructifier mais aussi de veiller à ce que le capital culturel, le capital immatériel aux dires de certains, se maintienne et augmente mais aussi se conserve et se mémorise. En d’autres termes, le campus est un lieu de transmission de capital, un lieu relais où les plus expérimentés "enseignent Thomson" et où les plus novices apportent des "nouvelles nouvelles" du monde extérieur qui, à terme, tant sur le plan scientifique qu’humain et gestionnaire, viendront enrichir la tradition et le capital Thomson. Là aussi, il s’agit de jouer fin, de faire fonctionner de manière positive la dialectique entre la formation qui conserve, reproduit ou même pétrifie les acquis et la formation qui accélère le mouvement, qui révolutionne les connaissances et les pratiques, les mentalités.

La troisième fonction est une fonction de communication. De par son espace et de par les rencontres qu’elle permet ou facilite, l’université Thomson est un des hauts lieux de la "politique de communication" du groupe. Nous ne nous arrêterons pas sur l’effet communication externe en terme d’image, au moins en France pour la multinationale, car ce serait nous écarter de notre sujet, mais sur son caractère interne. En effet, le campus est devenu un lieu central où se tissent des réseaux informels de communication qui permettent de mieux comprendre à la fois le groupe, ses branches, ses filiales, ses activités, ses implantations et son/ses organigramme(s) : fonction d’explication essentielle dans une entreprise de taille mondiale, fonction essentielle du lieu dans la constitution d’une communauté professionnelle pluriculturelle et polyglotte. Le campus est aussi l’espace de la communication verticale, ascendante/descendante, et horizontale. Il facilite le dialogue et l’écoute entre les cadres-formateurs et les stagiaires, dans et hors temps de formation ; il favorise le débat et l’échange entre les différentes strates hiérarchiques qui s’y côtoient, la "neutralité" du lieu offrant des possibilités de communication à moindre charge symbolique qu’un bureau, une réunion ou un repas de travail. Communication horizontale aussi, au sens où il donne l’occasion - à niveau hiérarchique théoriquement identique - d’échanger sur les différents métiers qui font fonctionner le groupe : rencontre fortuite mais combien positive d’ingénieurs de spécialités différentes, de scientifiques et de gestionnaires, de commerciaux et de logiciens. En bref, le campus est le lieu de communication de l’interculturel Thomson. Autre avantage de ce brassage permanent, de cette constitution de réseaux informels, c’est l’efficacité accrue de ses hommes et de son organisation. Connaître l’autre, c’est pouvoir l’interpeller directement, c’est gagner du temps en court-circuitant des structures et/ou des hiérarchies pesantes. Connaître l’autre et ses spécialités permet de résoudre plus vite et de manière moins coûteuse, nombre de problèmes, qu’ils soient techniques ou humains. Pour ramasser notre propos, nous serions tentés d’écrire que l’université Thomson, même si à terme cela implique sa disparition, a pour vocation de devenir un maillon incontournable dans la constitution d’une "teaching entreprise" communicante.

Sorte de monstre, entreprise du quatrième type où se mêlent et se confondent éducation formelle et informelle ; où s’entrelacent et se connectent communication formelle et celle qui ne l’est pas. En bref, une entreprise où les hommes et les femmes, dans une relation plus égalitaire, apprennent autant à l’entreprise que l’entreprise leur apprend.

Le dernier point que nous tenions à aborder concerne les rapports de l’université Thomson avec l’enseignement supérieur et particulièrement l’Université publique. Là encore, Jean-Louis Egli est très clair : le campus Thomson n’a pas pour finalité de se substituer à l’Université, il n’est pas une réponse à une pseudo-carence de l’enseignement supérieur, il n’a pas pour mission de produire des ingénieurs et cadres "sur mesure". Rien en fait ne légitimerait cette absurde concurrence. Le campus n’a pas vocation à "collationner les grades", à "certifier"56, d’autant que la plupart de ses stagiaires sont déjà diplômés de l’Université ou des grandes écoles. Sa mission est la mise en place de dispositifs de formation continue professionnalisants, de haut niveau57 à destination des cadres du groupe dans des créneaux bien maîtrisés et des métiers répertoriés. Le campus Thomson n’a pas vocation à l’universel. N’est mis en oeuvre que ce dont l’entreprise a besoin : les métiers Thomson sont ceux de l’électronique, non pas ceux de l’Université.

Néanmoins, le campus est défini comme un outil de coopération avec l’enseignement supérieur, comme milieu de cousinage entre l'université Thomson et ses illustres voisins. La preuve en est, la mise en place de diplômes ou d’actions en partenariat réel, "joint ventures" diraient les "modernes", avec l’enseignement supérieur. Ainsi en est-il avec l’Ecole normale supérieure pour l’organisation de l’Ecole d’automne de l’intelligence artificielle ; avec SUPELEC pour la conduite du Master en logistique des grands systèmes ; ou encore avec HEC pour former les acheteurs des sociétés de haute technologie.

Hormis ces quelques initiatives, qui favorisent de nécessaires rapprochements, le terrain semble bien balisé. Pour Jean-Louis Egli, le problème se pose en termes de "partage du travail éducatif" : l’Université construit le socle de compétences théoriques et techniques, sans visée adaptatrice et réductrice à un poste de travail trop strictement défini, l’entreprise apportera les matériaux nécessaires aux adaptations et aux évolutions dans le cadre de la formation permanente. "Ou alors plus personne ne sort de l’Université, car aujourd’hui, déclare Jean-Louis Egli, un ingénieur se doit d’être avant tout un technicien, mais aussi un gestionnaire, un manager parlant quatre langues dont une rare, et un expert en communication."

Notes
56.

Hormis le cas particulier de l’école d’ingénieurs intégrée au campus.

57.

Là existe par contre un petit espace de concurrence avec les services communs de formation continue des universités.