En route pour Ithaque

Une métaphore filée nous a tentés pour décrire l’"odysséez formative des Ulyciens 62, nous aurions pu passer d’île en île au gré des vents, des dieux, de notre inspiration ou en fonction de la vigueur de nos rameurs. Cette description précise et périlleuse nous aurait pris dix ans ! Nous avons donc souhaité, abandonnant Homère, quitter le poétique pour laisser place au discours de la raison, de l’analyse et de la description.

Ulyce s’inscrit donc dans une politique de formation ambitieuse, voire volontariste aux dires de certains ; politique pluriannuelle étroitement articulée au développement et à la diversification des activités de la Lyonnaise de Banque. Université interne permanente, si l’on en croit la direction générale, visant à anticiper les évolutions professionnelles d’un secteur d’activité en pleine mutation économique et technologique. Préparer certains personnels d’encadrement aux métiers de demain, c’est faire fructifier "le plus gros capital de l’entreprise"63, mais c’est aussi revenir, à des fins correctives, sur le mode de recrutement des années 70. En effet, lors de la "bancarisation" généralisée des années 70, le développement des banques et de leurs agences a été considérable, d’où une politique de recrutement très ouverte, sans exigence de diplôme, pariant sur les individus, la formation sur le tas, la promotion sociale interne et les dispositifs de formation préparant au CAP, brevet professionnel (BP) des banques...

Aujourd’hui, le recrutement s’opère à bac + 2, voire bac + 4 ou bac + 5 - Ulyce tenant compte des qualifications sociales acquises, dans l’activité tant professionnelle que personnelle - et participe de ce mouvement général qui tend à rehausser le niveau global des savoirs.

Investissement dans ou sur les hommes qui composent et font vivre l’entreprise, engagement financier lourd et à moyen terme puisque Ulyce représente 90 millions de francs sur 4 ou 5 ans64. La formation coûte. Pour s’en persuader, il suffit de regarder la part du budget de l’Etat (même si elle est insuffisante) ou des collectivités territoriales consacrée à l’Education. Le retour d’investissement incertain pour les uns, ou plus exactement difficile à mesurer en termes financiers est évident pour les autres. Lorsque la République se dote d’une école, elle se projette dans l’avenir et se reproduit ; lorsqu’une entreprise se dote d’une université en serait-il autrement ?

Investissement ou non, qu’importe du point de vue strictement économique, ce qui est certain ce sont, à terme, des effets qu’il s’agirait de mesurer65 et qui, à n’en point douter, faciliteront les échéances futures.

Ulyce est un pari qu’un gain de culture peut être aussi un gage d’efficacité et d’adaptabilité, un pari de 120 000 F par stagiaire. Si les sommes investies semblent considérables, la Lyonnaise consacre 9 % de sa masse salariale à la formation professionnelle continue, le dispositif quant à lui n’utilise que peu de moyens. En effet, aucune infrastructure permanente de formation, les stages ont lieu en séminaires résidentiels en hôtel ; aucune équipe enseignante permanente, une gestion assurée par deux personnes appartenant à la DRH. L’essentiel des frais est sans doute imputable aux salaires, encore que 5 journées de formation sur l’ensemble du cycle sont défalquées des congés payés des volontaires66.

Tout le monde ne peut pas prétendre être un des heureux Ulyciens, le public est strictement ciblé, même s’il représente un potentiel de 5 à 600 cadres moyens. L’élu se doit d’appartenir à certaines classifications (classes IV à VIII), avoir plus de 10 ans dans la profession, un certain niveau d’études (selon les classes, infra ou supérieur au bac), moins de 55 ans et surtout être volontaire, et à l’usage nous dirions même "disponible"67.

Cette université d’entreprise repose sur un dispositif pédagogique de 9 semaines (soit 45 jours) au rythme d’une semaine par mois durant l’année universitaire. Les enseignements sont assurés par les formateurs de l’université Lumière-Lyon II et de l’Ecole supérieure de commerce de Lyon, pour l’essentiel, et par quelques organismes privés qui assurent la dimension "développement personnel".

Quatre préoccupations fondamentales présidèrent à la construction du dispositif :

Pédagogie active reposant sur des équipes de formateurs chevronnés, renforcée, validée et éclairée par un ensemble de conférences (dîners-débats) liées à un des thèmes abordés en séminaires et assurées par un cadre "supérieur" de la Lyonnaise connu pour son expertise en la matière.

Sans donner de fastidieux détails sur les contenus et les durées de chaque séquence ou sous-séquence, quelques informations complémentaires semblent néanmoins nécessaires à la bonne compréhension et à la mesure des enjeux du dispositif Ulyce. C’est en effet au travers de lignes de force qui le constituent que se repèrent les éléments clés, les préoccupations, voire l’amorce des stratégies à venir.

Le périple de l’Ulycien se compose de 6 grands ensembles, éclatés ou regroupés selon les matières : chaque ensemble constituant une étape de la quête sans que l’on puisse pour autant hiérarchiser les savoirs. Ulyce se veut un tout et doit de ce fait être considéré dans sa globalité.

Le premier bloc (5 jours) est consacré au "développement personnel". Il englobe des techniques de créativité, de gestion de temps, de lecture efficace, de mobilisation de son énergie, de connaissance de soi. Il apparaît un peu comme une mallette de premier secours, sans pont et sans élastique, du cadre performant.

Le deuxième module (12 jours) est réservé à une approche globale de la "communication d’entreprise". Il vise, à partir de situations de communication professionnelle, non seulement à permettre aux cadres de mieux maîtriser les outils et techniques de communication, mais aussi et surtout d’analyser les phénomènes et les politiques de communication mis en oeuvre dans l’entreprise de manière à pouvoir, si nécessaire, leur apporter compléments et correctifs. Son ambition était, en dépassant le simple apport méthodologique classique, de faire découvrir la dimension stratégique de la communication dans les entreprises et d’apporter les éléments constitutifs d’une qualification transversale, hors de la culture des métiers, indispensable aux nouvelles formes de l’organisation du travail.

Le troisième ensemble est tout entier centré sur l’"économie" (9 jours). Son objectif : fournir aux stagiaires les éléments explicatifs de l’économie actuelle et les grandes évolutions possibles en la matière. Son but : renforcer et actualiser les connaissances théoriques acquises, casser les représentations et replacer la Lyonnaise de Banque dans son environnement macro-économique.

La culture et le marketing bancaire constituent le quatrième module (8 jours). Son objectif : faire saisir les enjeux d’un environnement bancaire en profonde mutation, repérer les rouages du système financier et présenter les techniques spécifiques au marketing bancaire. Ce module, à caractère professionnel, replonge le dispositif universitaire au coeur du quotidien bancaire.

Un cinquième temps (7 jours) est réservé à la gestion , au système informatique et à la politique générale de l’entreprise. Il vise la maîtrise des outils de gestion, une familiarisation plus grande avec l’informatique, ses procédures, ses hommes, ses codes, ses utilisations, un regard sur les stratégies de développement de la Lyonnaise.

Dernier moment du périple : le retour à la civilisation, à la culture et à la connaissance du monde contemporain (5 jours). Module déconnecté, encore que..., de l’immédiateté, de la prégnance professionnelle ; module d’ouverture des esprits, module de découverte visant à permettre à chacun de rattacher son expérience propre, son histoire de vie à des ensembles plus vastes et à engager d’autres quêtes infinies. Y furent abordés : l’homme dans la chaîne du vivant et l’origine de la vie, l’homme social, la culture et les loisirs, aussi bien que l’histoire de l’art, la géopolitique, la société médiatique et la littérature.

Notes
62.

Appellation interne désignant les stagiaires du dispositif Ulyce.

63.

H. Moulard, in le Figaro du 18 avril 1989.

64.

Ulyce première version, voir infra.

65.

Effet sur les hommes, la structure, les qualifications, etc.

66.

Ce, malgré le désaccord de la CFDT qui, par ailleurs est favorable à Ulyce.

67.

Thème d’une campagne de communication globale de la Lyonnaise de Banque sur la disponibilité interne/externe des personnels à l’égard de la clientèle au sens large.