Fonction publique : contexte et enjeux de la formation

La loi du 16 juillet 1971 ne pouvait ignorer le droit des fonctionnaires en matière de formation et, si le livre IX80 du Code du travail qui en résulte définit "les droits à la formation des salariés du commerce et de l'industrie", elle pose aussi les principes généraux du droit à la formation des agents de l'Etat, droit dont les dispositions particulières relèvent de décrets. Néanmoins, il fallut attendre la loi du 13 juillet 198381, soit douze années plus tard, pour voir clairement et fortement réaffirmer le droit des fonctionnaires à la formation, mais ce n'est, de fait, que la circulaire du Premier Ministre de l'époque Michel Rocard, en date du 23 février 1989 et l'accord-cadre du 29 juin 1989 qui en découle, puis celui du 10 juillet 199282, qui transformèrent des incitations et un droit général en un ensemble de réglementations complet et cohérent.

Cette circulaire d'orientation de la fonction publique affirme une forte volonté de modernisation, son titre sans ambiguïté l'atteste : "le Renouveau du service public" et c'est de ce texte qu'il faut, à notre sens partir, pour aujourd'hui mieux mesurer le pari de modernisation fait alors et la place consentie à l'un de ses leviers : la formation.

Michel Rocard y affirme "la nécessité d'une adaptation de l'Etat pour (...) accompagner ou devancer les mutations profondes que connaît la société française"83, attente, partagée à la fois par les fonctionnaires et les citoyens, qui exige "un renouveau en profondeur de l'Etat et par conséquent (de) revoir les relations de travail comme les modes de décision et de gestion"84. Renouveau qui se fonde sur la restauration de "la dignité des serviteurs de l'Etat et des collectivités publiques, en créant les conditions juridiques et matérielles d'une prise de responsabilité effective (...), en matière de décision comme d'exécution"85. En conséquence, l'Etat s'engage à définir une nouvelle politique des relations de travail dont l'un des buts sera de "revaloriser la fonction de gestion du personnel dans les administrations" et d'accompagner les nominations à des postes d'encadrement "d'une formation des agents à la gestion des ressources humaines". Dans le même temps, l'Etat se propose de mettre en place "une gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des carrières (...) qui est l'instrument privilégié d'une politique des ressources humaines car elle seule peut assurer la cohérence entre l'évolution des missions, des métiers et des qualifications et les politiques de gestion du personnel"86.

Dans ce cadre, "la formation initiale et continue des agents doit jouer pleinement son rôle d'instrument privilégié"87 et pour ce faire, après consultation des organisations syndicales, se développer, tant pour répondre aux besoins de modernisation de la fonction publique que pour satisfaire des besoins personnels.

Le constat est évident, il ne s'agit pas seulement d'une volonté humaniste de développement des hommes et des femmes de la fonction publique dans une logique d'éducation permanente, mais d'un projet politique de grande ampleur visant à moderniser l'Etat et ses fonctionnements, tant au bénéfice des usagers qu'à celui des agents. Modernisation qui passe d'une part par la mise en oeuvre de moyens matériels et juridiques, d'autre part par l'implantation d'une culture et de pratiques nouvelles en matière de gestion des personnels et de la formation.

Doit-on en déduire que jusque-là, en matière de formation, l'Etat faisait figure du "plus mauvais employeur"88 ? Peut-être, si on exclut les formations liées à la préparation aux concours où à l'accès à certaines fonctions ou si, comme le souligne Etienne Verne, le territoire de la formation est "difficile à délimiter"89 dans la fonction publique. Il n'en demeure pas moins que, jusqu'en 1989, cette dernière apparaissait sur ce point très en retard par rapport au secteur privé et que malgré tout, dans bien des situations, reste "posée la question fondamentale de la finalité de la formation continue dans une administration entravée par le système de carrières, des corps, des statuts"90 et du système d'avancement par concours, quelquefois au détriment de la compétence91. Réalité et processus de fonctionnement qui firent de la formation non pas une priorité mais un outil de gestion de carrière92, inscrit dans une logique de fonction fort éloignée quelquefois de la logique, sans doute pas neutre non plus93, de métiers et de qualifications qui se fait jour aujourd'hui.

Pour bien mesurer l'importance des enjeux, il faut se rappeler que les trois fonctions publiques occupent plus de quatre millions d'agents94. Une telle masse bien sûr n'est pas homogène et les accords généraux sont appliqués et déclinés localement, ministère par ministère. On s'imagine néanmoins la somme des efforts, des volontés et des moyens nécessaires à la mise en oeuvre d'une réelle politique de formation dans les administrations. Pour les observateurs, l'accord-cadre de juin 1986 visait à aligner, au-delà de la nécessaire modernisation qu'il se proposait d'accompagner, les flux financiers sur les règles en vigueur dans le secteur privé. En effet, cet accord prévoyait qu'il serait consacré au moins 1,2 % de la masse salariale à la formation en 1990, pour atteindre 2 % en 1992 à l'échéance de l'accord. Cette exigence de quantification dénotait un réel souci de mesure de l'effort consenti pour la formation et aussi une tentative (ou une tentation) de le comparer aux pratiques du secteur privé. L'accord de juillet 1992 renforçait cette tendance puisqu'il fixait la barre à 3,2 % de masse salariale à atteindre en 1994, 3,2 % représentant à l'époque la moyenne de la masse salariale consacrée à la formation continue par les entreprises du privé assujetties à l'obligation légale. Effort financier non négligeable, visant à augmenter les chances de départ en formation des agents pour lesquels il était prévu trois jours de formation sur la durée de l'accord, portés à quatre en 1992 pour les catégories C.

L'accord du 10 juillet 199295 dont l'objectif principal était de "faire de la formation continue des agents (...) un outil efficace de modernisation de l'administration" et de contribuer à faire naître "une culture nouvelle privilégiant la formation continue, comprise comme une nécessité pour s'adapter à l'évolution des missions et des métiers dans la fonction publique"96 fixait aussi trois priorités : l'équité dans la formation, la qualité de la formation et une mise en oeuvre concertée de la formation à tous les niveaux de l'administration"97.

Afin d'accompagner cette volonté de modernisation et d'asseoir ces priorités, l'accord prévoyait des mesures concrètes, accentuant encore la mise en oeuvre du titre VII98 de la loi 16 juillet 1971, comme l'avait déjà commencé l'accord précédent. Il préconisa d'une part la mise en place d'une fiche individuelle de suivi de la formation inclue au dossier de l'agent et d'un plan de formation individuel conciliant "les besoins du service et les demandes des agents"99 , pratiques, d'ailleurs, déjà bien connues dans les grandes entreprises du secteur privé. D'autre part, le congé de formation professionnelle fut l'objet d'une avancée significative en ce qui concerne les modalités de maintien du traitement qui passa de l'indice brut 379 à 579 en 1993 et à 638 en janvier 1994 (soit environ 13 600 F).

Au-delà, outre le congé de restructuration sur lequel nous reviendrons, l'accord incita à une meilleure gestion et à un meilleur suivi de la formation en prévoyant la mise en place de plans de formation pluriannuels au sein des administrations et de plans décentralisés au niveau local, une grille d'évaluation et l'amélioration de l'appareil statistique. Autant d'outils que le secteur relevant du livre IX du Code du travail expérimentait ou possédait100 depuis longtemps101.

L'enjeu de modernisation de la fonction publique est clairement défini et la formation sera l'un de ses vecteurs. Mais il est évident aussi que ces accords dépassent la logique antérieure des corps, grades et fonctions pour s'orienter vers des logiques de "métiers" et de qualifications dont on ne mesure d'ailleurs peut-être pas toujours les conséquences. Au demeurant, cet enjeu immense de modernisation des qualifications, même s'il concerne tous les fonctionnaires, est essentiel en ce qui concerne la catégorie C, bien que cette dernière n'ait pas la même importance numérique dans toutes les fonctions publiques. L'accord de 1992 l'affiche clairement, même si la durée est très largement insuffisante, en préconisant un quatrième jour de formation pour cette catégorie. Les accords, dits Durafour, du 9 février 1990 sur la rénovation de la grille des classifications et des rémunérations des trois fonctions publiques et visant à supprimer la catégorie D en sont une autre illustration. Ces accords spécifient en effet "la nécessité d'un plan de requalification pour les personnels de catégorie D. Ils traduisent ainsi l'intention de qualifier des personnels sur leur lieu d'activité professionnelle par un processus de développement de compétences nouvelles. Concomitante aux besoins des personnels, cette démarche répond à un besoin d'emplois qualifiés"102. Enjeu dont on mesure toute l'importance dans les secteurs à forte population peu qualifiée. La fonction publique territoriale est à ce titre un exemple parlant et qui permet de bien mesurer la portée du défi. En effet, selon l'INSEE (1990)103, le cumul des emplois d'exécution y représente 82 % des agents, soit plus de 800 000 personnes pour lesquelles un effort de qualification ou de requalification doit être entrepris. Même s'il est vrai que la structure de la main-d’oeuvre est particulière dans la fonction publique territoriale, les enjeux que représente la formation continue sont donc considérables, tant du point de vue matériel que du point de vue humain. Certains secteurs des autres fonctions publiques, sans connaître un tel taux d'emploi d'exécution, sont aussi fortement utilisateurs de main-d'oeuvre peu qualifiée (agents de service des hôpitaux, cantonniers de l'équipement...).

"L'effort de qualification et de requalification, du fait de l'obsolescence de certaines d'entre elles et de l'évolution technologique"104, concerne dans la fonction publique, plus d'un million d'agents, soit environ le quart des "serviteurs" de l'Etat ; il était donc plus que temps de s'en préoccuper.

Enjeu aussi pour la formation elle-même, car si elle veut jouer le rôle qui lui est dévolu dans la modernisation de la fonction publique et réussir son repositionnement "dans le management général des administrations"105, cela entraîne pour elle une nécessaire professionnalisation de ses acteurs en matière d'ingénierie et de conseil ; c'est à ce prix qu'elle permettra peut-être le passage d'une "administration de procédure à une administration de responsabilité"106.

Notes
80.

Loi du 16 juillet 1971 (titre VII), Code du travail (art. L 970-1 et suivants). L'article 41 du titre VII précise que "l'Etat met en oeuvre au bénéfice de ses agents une politique coordonnée de formation professionnelle et de promotion sociale semblable par sa portée et par les moyens employés (souligné par nous) à celle visée à l'article 2 de la présente loi (JO du 17/7/1971).

81.

La loi du 13 juillet 1983 sur les droits et obligations des fonctionnaires des trois fonctions publiques stipule en effet, sans plus de précision, dans son article 21 que "les fonctionnaires ont droit à des congés de formation professionnelle" et dans son article 22 que "le droit à la formation permanente est reconnu aux fonctionnaires".

82.

Pour la fonction publique territoriale, se reporter aussi à l'accord cadre du 8 février 1990.

83.

Circulaire du Premier Ministre du 23 février 1989, p 2.

84.

Ibid., p. 4.

85.

Ibid., p. 4.

86.

Ibid., p. 6.

87.

Ibid., p. 7.

88.

Allusion à un article de Science et Vie Economie, l'Etat le plus mauvais employeur, n° 58, fév. 1990.

89.

E. Verne : Quelles évolutions pour la formation professionnelle continue ? Actualité de la formation permanente, n° 127, nov./déc. 1993, p 83.

90.

Agent de l'Etat en formation, dossier coordonné par F. Leplâtre, Actualité de la formation permanente, n° 127, nov./déc. 1993, p. 33.

91.

Malgré tout l'intérêt de ce système qui garantit contre l'arbitraire au nom de l'égalité, il faut bien constater que dans certains cas, même si les organisations syndicales y sont très attachées, ce dispositif apparaît comme inadapté. Sans songer à le supprimer, voire pour qu'il conserve sa crédibilité, il serait nécessaire de le renégocier afin de le faire évoluer.

92.

Comme le souligne V. Lairre in le Droit à la formation continue dans la fonction publique d'Etat, Actualité de la formation permanente, op. cit., p. 42.

93.

Pas plus que ne le sont les "glissements sémantiques" d'usager à client ou de la notion d'établissement à celle "d'entreprise".

94.

On estime la fonction publique d'Etat à environ 2,1 millions d'agents, la fonction publique territoriale à 1,3 million et la fonction publique hospitalière à 0,8 million d'agents.

95.

Cet accord est aujourd'hui en cours de renégociation mais aucun document n'a été rendu public, tant en ce qui concerne son évaluation que les tendances et les propositions des partenaires sociaux dans le sens d'un renouvellement. Néanmoins, le communiqué de presse du ministère de la Fonction publique, en date du 12 septembre 1995, précise que "le prochain accord-cadre permettra de définir les grandes lignes de la politique de formation dans les administrations de l'Etat pour les prochaines années. Il doit notamment permettre de progresser dans les trois directions suivantes :

- l'équité d'accès à la formation ;

- la préparation des affectations dans les emplois les plus sensibles (quartiers difficiles, par exemple) ;

- les moyens d'accès à une seconde chance pour ceux qui désirent développer leur carrière".

96.

J.L. Salles : les Priorités de l'accord du 10 juillet 1992, Actualité de la formation permanente,
op. cit. p. 40.

97.

Ibid. p. 40.

98.

Cf. supra

99.

J.L. Salles, op. cit. p. 40.

100.

En particulier, la déclaration n° 2483 des entreprises et le bilan pédagogique et financier des organismes de formation qui constituent des outils essentiels de lisibilité de la formation dans le secteur privé.

101.

Autant de points dont le travail préalable à la renégociation de l'accord de 1992 tentera d'évaluer l'application.

102.

A. Prévost et Y. Bourgarel, Requalifier la fonction service, Actualité de la formation permanente, n° 127, oct./nov. 1993, p. 64 (souligné dans le texte).

103.

INSEE, les Effectifs communaux et intercommunaux par catégorie, métropole et DOM, déc. 1990.

104.

M. Lamaury et H. Lenoir, Agents territoriaux, qualification et requalification, Actualité de la formation permanente, n° 127, op. cit. p. 14.

105.

J.M. Fernandez et P. Deforges, La fonction formation dans la fonction publique, Actualité de la formation permanente, n° 127, op. cit. p. 72.

106.

Attribué à Michel Rocard, in article référencé en note 26.