Le congé de formation professionnelle et le congé individuel de formation

Depuis 1976 de droit, et de fait depuis 1984131, les salariés du secteur privé132 disposent d'un droit réel au congé individuel de formation décrit dans les articles L 931-1 et suivants du Code du travail. La loi du 13 juillet 1983 reconnaît ce droit aux agents du secteur public et les accords-cadres ultérieurs133 de 1989 et 1992, selon des modalités propres aux trois fonctions publiques, en définiront les règles de fonctionnement.

Ainsi, les salariés des deux secteurs d'emploi bénéficient de possibilités de départ en formation à leur initiative, afin de réaliser un projet personnel, le plus souvent à caractère professionnel134. Ce qui, de fait, limite singulièrement la nature et la portée de l'initiative.

Le congé de formation professionnelle dans la fonction publique permet aux agents de suivre "des stages de formation professionnelle ou personnelle qui ne leur sont pas offerts par l'administration afin de parfaire leur formation personnelle" d'une durée minimale d'un mois et d'une durée maximale de trois ans "utilisé en une seule fois ou en totalisant plusieurs congés pour l'ensemble de la carrière"135 en une ou plusieurs fois. Le CIF (congé individuel de formation), en apparence moins marqué professionnellement136, a "pour objet de permettre à tout salarié, au cours de sa vie professionnelle, de suivre, à son initiative et à titre individuel, des actions de formation indépendamment de sa participation aux stages compris dans le plan de formation". La durée du CIF, sans minima, ne peut être supérieure à un an si le stage se déroule à temps plein ou 1 200 heures si le stage est à temps partiel ou s'il s'agit de stage constituant un cycle pédagogique comportant des enseignements discontinus"137. Ces congés individuels ne sont donc pas exclusifs du plan mais doivent être considérés comme une possibilité complémentaire d'accès à la formation. Différence majeure, l'un se gère sur la carrière et y trouve ses limites, tandis que l'autre, théoriquement reproductible plusieurs fois, trouve ses limites dans les délais de franchise138 applicables entre deux congés, de six mois au minimum à six ans au maximum pour une durée de 1 200 heures. De fait, dans le mesure où le maintien de la rémunération n'est, dans l'administration comme dans le privé, que d'une année, les congés professionnels excèdent rarement une année.

En matière de maintien de la rémunération, les deux dispositifs, avec des modalités différentes, la garantissent en partie. Garantie qui seule rend l'exercice de ce droit possible. Néanmoins, sur ce point, les trois fonctions publiques n'offrent pas le même confort. En effet, si la fonction publique d'Etat et la fonction publique hospitalière139 maintiennent une rémunération de 85 % du traitement brut, indexé il est vrai sur l'indice 638, la fonction publique territoriale accuse encore, dans ce domaine, un retard important car elle ne maintient que 75 % de l'indice 379, ce qui rend l'utilisation de ce congé économiquement problématique pour ses agents140. Le CIF, financé sur le 1,5 % de la masse salariale (0,20 % lui sont consacrés), ouvre droit à une rémunération calculée en fonction du salaire de référence qui se situe entre 100 % de celui-ci en dessous de deux fois le SMIC jusqu'à 80 % du salaire de référence, sans pouvoir descendre en dessous de deux fois ce même SMIC dans le cadre d'un congé d'une année141.

Que l'on soit salarié du secteur privé ou agent du secteur public, l'accès à ce droit au congé de formation individuel est lié à des conditions d'ancienneté : trois années de service effectif dans l'administration pour les uns et vingt-quatre mois, consécutifs ou non, en qualité de salarié (dont douze mois dans l'entreprise) pour les autres. L'entreprise dans ce cas a des exigences moindres, d'autant que les CDD rentrent dans le calcul de cette ancienneté. De plus, au retour, elle ne contraint pas le salarié comme c'est le cas du fonctionnaire qui, après un congé de formation professionnelle, doit rester au service de son administration "pendant une période qui est égale au triple de celle pendant laquelle l'indemnité mensuelle forfaitaire lui a été versée"142 ou rembourser ladite indemnité.

Afin de garantir le droit au congé de formation individuelle, les deux dispositifs juridiques encadrent étroitement les procédures d'autorisation d'absence. La demande de congé143 est à faire auprès du chef de service, 120 jours au moins144 avant le départ en formation pour les fonctionnaires, entre 60 et 120 jours à l'employeur et une demande de prise en charge financière auprès de l'organisme paritaire ad hoc. L'intéressé, dans les deux cas, doit recevoir une réponse de sa hiérarchie dans les 30 jours qui suivent sa requête. En cas de refus145 ou de report, l'administration doit en expliquer le motif ; au troisième refus, la commission administrative paritaire doit être consultée. L'employeur, s'il ne peut refuser sauf dans le cas d'un salarié qui ne remplit pas les conditions d'accès, peut reporter, en le motivant, la demande de congé dans le temps, soit en invoquant des raisons de service, soit un effectif simultanément en CIF trop important146.

"Les fonctionnaires en congé pour formation sont considérés comme étant en fonction (et), le temps passé en congé de formation est pris en compte pour l'ancienneté (...) et ils conservent leur couverture sociale"147. "Pendant le congé individuel de formation, le contrat de travail n'est pas rompu (...et) continue de produire certains effets"148 : droit aux congés payés, à l'ancienneté, aux primes, à la couverture sociale et aux mandats syndicaux. Ce droit est assorti d'obligations : "Les fonctionnaires en congé de formation doivent remettre à chaque fin de mois et au moment de la reprise du travail une attestation de fréquentation effective du stage. En cas d'absence sans motif valable, il est mis fin au congé de formation et l'agent doit rembourser les indemnités perçues."149 Une interruption du congé à la demande de l'agent est, par ailleurs et dans certaines conditions, toujours possible.

Dans le cadre du livre IX du Code du travail, "le salarié qui bénéficie d'un congé de formation doit fréquenter régulièrement le stage" et fournir une attestation de présence. "Les absences non autorisées (...) peuvent l'exposer à des conséquences graves" : renvoi du stagiaire ou fin de la prise en charge. L'abandon est autorisé, mais l'employeur n'est pas tenu (...) d'accepter une demande de réintégration anticipée" ; en revanche "il ne peut demander à un salarié d'interrompre son stage pour réintégrer son poste de travail", même pour raison de service ou "des impératifs de production"150.

On le voit : le législateur et les partenaires sociaux, afin de garantir le sérieux du congé de formation, l'ont fortement encadré. Exigence louable mais qui, d'une certaine manière, "scolarise" la mesure, infantilise le stagiaire adulte et renforce le lien de subordination qui le lie à son employeur au détriment, sans doute, de l'exercice de sa responsabilité et de sa citoyenneté. L'Etat, en exigeant le remboursement des indemnités perçues en cas de motif non valable est, en ce sens, encore plus "coercitif", d'autant que "les frais nécessités par l'inscription au stage ou l'achat de documents ainsi que d'éventuels frais de transport et d'hébergement sont en totalité à la charge des fonctionnaires"151, contrairement au secteur privé où les frais engendrés par le congé peuvent être pris en charge en partie ou en totalité par l'organisme paritaire gestionnaire.

Dernier élément du droit au congé, qu'il nous semble indispensable d'évoquer, le retour de formation. A l'issue du congé, le fonctionnaire doit "demander sa réintégration (...) et il n'est pas assuré d'être réintégré dans le poste qu'il occupait au moment de sa demande" même s'il conserve son grade. Dans l'entreprise, à son retour, le salarié "retrouve (...) un poste de travail correspondant à la qualification et à la rémunération prévues dans son contrat de travail (...). Cependant le salarié n'est pas assuré de retrouver exactement la même place ou le même poste"152.

Les congés de formation sont, à n'en point douter pour les salariés et les fonctionnaires, une mesure extrêmement positive qui, au plan européen notamment, fait des envieux. Néanmoins, l'on peut regretter la prise de risque - quand il n'y a pas utilisation perverse de la mesure comme un arrangement à "l'amiable" de reconversion et/ou de pré-licenciement - lors du retour de formation, qui non seulement ne garantit pas toujours une reprise d'activité dans de bonnes conditions, hors clauses légales, et qui quelquefois entraîne, à terme, une perte de confiance et un départ. Par ailleurs, l'on peut déplorer que cet "investissement-formation" individuel et social reste d'usage difficile, et trop souvent confidentiel, et que les compétences et les qualifications acquises soient aussi peu reconnues et utilisées au retour.

Pour clôturer cette tentative de comparaison entre le droit à la formation des fonctionnaires, suite à l'accord-cadre de 1992, et celui des salariés du privé tel que le définit le Code du travail, il nous faut citer pour mémoire ce qu'il est convenu d'appeler les "autres congés". Les dispositifs, public et privé, autorisent, en effet, l'accès à d'autres types de formation qui visent à parfaire des connaissances dans tel ou tel domaine ou à se préparer à mieux exercer des responsabilités sociales. Deux de ces congés particuliers sont communs aux deux secteurs, le congé de formation "cadres et animateurs pour la jeunesse" qui vise à permettre aux jeunes salariés de suivre sur leur temps de travail, des stages de formation à l'animation sportive culturelle ou sociale"153 et surtout le congé pour formation syndicale dans le public et le congé de formation économique, sociale et syndicale dans le privé dont l'intitulé suffit à préciser le contenu. Le nombre de ces congés particuliers semble à première vue plus élevé dans le secteur privé mais après analyse, l'on s'aperçoit qu'un certain nombre de ces congés sont accessibles aux fonctionnaires dans le cadre de la réglementation générale. C'est le cas par exemple pour la préparation aux examens et concours.

Notes
131.

C'est l'avenant du 9 juillet 1976 qui définit la notion de congé individuel de formation et du même coup celle de plan. La notion de congé sera précisée par la loi du 17 juillet 1978, consolidée et étendue par celle du 24 février 1984. Avant la réforme du CIF (loi n° 84-130) en 1984 et particulièrement de ses modalités de financement, il était fort difficile d'user de ce droit au congé.

132.

Les salariés en CDD (contrat à durée déterminée) et sous contrat de travail temporaire, dont nous ne traiterons pas ici, relèvent de dispositions particulières mais ne sont pas exclus de ce droit.

133.

Cf. supra.

134.

En effet, cela se vérifie aussi dans le cadre du CIF pour lequel les orientations du COPACIF vont très clairement dans le sens du projet professionnel. Seuls 2,91 % des CIF financés sur l'exercice 1994 avaient pour finalité "l'accès à la culture" (Bilan statistique CIF-CDI, COPACIF, 1995).

135.

Les Fiches pratiques de la formation continue, op. cit., p. 178. Ce droit au congé de formation professionnelle s'applique aussi à la préparation aux concours administratifs. Les agents non titulaires bénéficient de ce droit, mais la durée du congé ne peut excéder la période d'engagement restante. La formation suivie, dans tous les cas, doit avoir reçu l'agrément de l'Etat.

136.

En effet, dans l'ordre de satisfaction des demandes, les actions conduisant à une qualification sont prioritaires.

137.

Ibid., pp. 28 et 29. Toutefois, dans le cadre d'accord de branche ou d'entreprise des durées plus longues sont possibles.

138.

Pour son mode de calcul se reporter aux Fiches pratiques de la formation continue, op. cit., p. 27. Dans la fonction publique, un tel délai existe en cas d'absence pour préparation à un concours.

139.

Ces deux fonctions publiques y consacrent 0,15 % de la masse salariale.

140.

Congé dont la durée est, par ailleurs, limitée à trois mois s'il s'agit d'un congé continu à temps plein.

141.

Pour le détail des calculs, se reporter aux Fiches pratiques de la formation continue,, op. cit., pp. 38 et 39. Signalons que les actions conduisant à une qualification ouvrent droit, dans certaines conditions, à une rémunération égale à 90 % du salaire de référence.

142.

Les Fiches pratiques de la formation continue, op. cit., p179.

143.

Pour les modalités, voir Fiches pratiques de la formation continue, op. cit., pp. 179 et 31.

144.

90 jours dans la fonction publique territoriale.

145.

Un refus ne peut être formulé tant que les 0,15 % de la masse salariale prévus à cet effet ne sont pas atteints, cela par ministère.

146.

Pour les règles de calcul des effectifs simultanément absents, se reporter aux Fiches pratiques de la formation continue, op. cit., p. 32. Quant au report, il n'est possible qu'après consultation des instances du personnel.

147.

Les Fiches pratiques de la formation continue, op. cit., p. 180.

148.

Ibid., p. 29.

149.

Ibid., p. 180.

150.

Ibid., pp. 43 et 44. En gras dans le texte.

151.

Ibid., p. 180.

152.

Ibid., p. 181 et p. 30.

153.

Ibid., p. 61.