Depuis 1971, en particulier depuis l'accord-cadre de 1989, on assiste à une convergence du droit public et privé en matière de formation. Mais on constate aussi, et on ne peut que le déplorer, que la formation est de moins en moins pensée comme un moyen de développement des individus. Elle est de plus en plus considérée comme un instrument strictement au service de la productivité et de l'adaptabilité des personnes, comme un outil de modernisation du management et des organisations qui ne prend plus guère, malgré un discours de convenance, le salarié ou le fonctionnaire en compte.
Dans le cadre de la loi du 16 juillet 1971, l'Etat se proposait de mettre "en oeuvre au bénéfice de ses agents une politique coordonnée de formation professionnelle et de promotion semblable par sa portée et ses moyens"232 à celle destinée aux salariés du privé. Aujourd'hui, les accords-cadres successifs signés vont dans ce sens et s'appliquent, avec des spécificités, aux trois fonctions publiques. L'accord négocié en 1996 va encore plus loin dans cette recherche de similitude et de fusion entre les modalités juridiques des deux secteurs, voire modifie la logique d'entraînement de la formation en faveur de l'Etat. Hormis bien sûr ce qui appartient en propre à la fonction publique, comme le statut et les concours par exemple. Quoi qu'il en soit les volontés de 1971 sont à présent des faits, même si l'Etat employeur a quelque peu différé son action.
Le congé de restructuration, pour l'instant réservé aux fonctionnaires d'Etat, est un nouvel indice de cette tendance, car il n'est pas sans cousinage avec la convention de conversion des ASSEDIC qui propose "aux salariés intéressés (dans le cadre d'un licenciement économique) de bénéficier pendant six mois d'une allocation spécifique de conversion et d'actions particulières en vue de permettre leur reclassement"233. Le congé de restructuration, en effet, fut créé "à l'intention des agents affectés dans des services au sein desquels des opérations de restructuration lourde et comportant un changement d'organisation ou d'implantation géographique rendent nécessaire une reconversion personnelle"234. Cette mesure laisse présager des bouleversements importants et permettra d'accompagner et d'organiser des restructurations en cours et à venir. De fait, dans bien des situations, il est patent que "la modernisation à longtemps été conçue soit sans les fonctionnaires, soit contre eux"235, l'usage potentiel du congé de restructuration en est encore un indice.
On peut aussi déplorer que le dispositif reste muet, pour ne pas dire absent, en matière de reconnaissance de la formation professionnelle et personnelle et sur la validation des acquis réalisée en situations de travail qui toutes, même les plus taylorisées, contiennent une dimension de formation expériencielle et informelle.
De la formation, outil de gestion des ressources humaines et de modernisation en 1989, outil d'accompagnement des restructurations en 1992, en est-on arrivé à la formation, instrument au service des délocalisations et des reconversions en 1996 ? Deviendra-t-elle dans les années à venir l'un des leviers des privatisations rampantes annoncées (cf. "Paroles de grévistes"236). On peut se le demander. Si tel était le cas, quelle image pour la formation, quelle crédibilité pour les formateurs, quel statut pour les savoirs ?
Au-delà de ces constats du moment, qu'en sera-t-il du droit à la formation, dans les années à venir, dans le cadre d'un droit du travail "repensé", peut-être largement déréglementé, et du droit à la formation dans une fonction publique renouvelée et très largement privatisée et/ou européanisée ?
Article 41, titre VII de la loi du 16 juillet 1971, déjà cité ci-dessus.
Les Fiches pratiques de la formation continue, op. cit., p.145.
Ibid., p. 183.
La Transformation des logiques de formation dans le service public, op. cit., p. 125.
Allusion aux entretiens que nous avons réalisés pour illustrer ce numéro et qui émaillent le numéro 130 de la revue Education permanente dans laquelle cet article a été publié.