Nouveaux usages et transformation de l'offre de formation 237

Le dernier texte de ce chapitre est le résultat d'un travail prospectif qui repose sur l'analyse de l'existant et les lignes de force, repérées antérieurement, qui traversent la formation. Il vise à nommer les tendances prévisibles qui, à terme, modifieront le paysage de la formation que nous connaissons actuellement, tant du point de vue des dispositifs juridico-institutionnels que des ressources pédagogiques... Il participe au questionnement sur les usages sociaux qui seront assignés à l'Education tout au long de la vie en soulignant toutefois que, si seule l'économie les déterminait, il est probable que la formation ne serait plus "qu'un avatar monstrueux et dégénéré de l'Europe des Lumières". Il souligne que la suture entretenue depuis vingt-cinq ans a été très largement fragilisée par les effets de la crise économique et ses conséquences sur le marché de l'emploi. Il réaffirme que, si la formation est toujours un outil de développement et d'accès à la société cognitive, elle est aussi un outil de gestion du capital humain de plus en plus utilisé pour maquiller la fissure grandissante que crée la précarité dans le corps social.

Ce texte n'a pas pour objet de donner toutes les réponses, d'ouvrir toutes les perspectives offertes à l'éducation permanente ou à la formation tout au long de la vie mais il tente de cerner en quoi les évolutions futures entraîneront ou non, de nouveaux usages dans la formation des adultes et d'en penser à l'avance les conséquences possibles.

Sans renoncer à toute volonté prospective, il nous paraît opportun de questionner ces "nouveaux" usages et de tenter de comprendre en quoi ils impliquent une remise en cause de l'offre et des pratiques de formation.

La première étape consiste à essayer de repérer la nature et la réalité, au-delà du discours, de ces nouveaux usages - le sont-ils ? - et d'interroger leur intérêt, leur risque et pourquoi pas leur légitimité.

La deuxième cernera les acteurs sociaux impliqués dans et par ces nouveaux usages et mesurera, si tant est que cela soit possible, les effets de ces derniers sur leur activité et les conditions d'exercice de leur pratique. A cette occasion, nous nous interrogerons sur les enjeux que portent de telles transformations et sur l'évolution des pouvoirs et des rôles qu'elles produiront.

Dans une troisième étape, si toutefois l'hypothèse de nouveaux usages et d'une plus grande flexibilité de la formation de ces appareils et de ces dispositifs se confirme, il nous faudra interroger la nature, la forme et les conséquences de cette souplesse institutionnelle et organisationnelle imposée par cette nouvelle donne. En bref, évoquer les incidences de ces usages et de la flexibilité qu'ils induisent sur le système juridico-institutionnel qui encadre, aujourd'hui, le droit à la formation et donc envisager des modifications dans ce domaine. Comme il sera nécessaire de repenser, dans ce contexte nouveau, la nature et l'origine, ainsi que la gestion et les sources de financement, de la formation durant toute la vie.

Il sera temps alors, dans une quatrième étape, de tenter d'évaluer les incidences et l'impact d'une telle mutation sur les usages, tant en ce qui concerne l'ingénierie de formation, que les pratiques pédagogiques stricto sensu, la validation des acquis professionnels ou l'utilisation des multimédias éducatifs...

En d'autres termes, de débattre des nouveaux usages de la formation et de la flexibilité qui en découle en matière de multiplicité des circonstances, des parcours, des temps, des lieux, des supports... en songeant à déterminer au passage les évolutions induites dans la pratique, voire dans la conception même, des métiers de la formation.

Arrivés à ce stade de notre réflexion peut-être serons-nous en mesure de mieux cerner les conséquences de ces usages sur les organismes dispensateurs de formation et sur l'offre qu'ils produisent d'une part et sur la nature de la commande, sociale ou privée, de formation durant toute la vie, d'autre part.

A l'issue de cette dernière réflexion et en y insérant l'ensemble de nos constats précédents, nous pourrons estimer les effets attendus de ces usages à venir et comprendre en quoi ils seront ou non une "deuxième chance" pour la promotion sociale et/ou pour l'éducation durant toute la vie, déjà préconisée, en son temps, par Condorcet dans son célèbre rapport.

Notes
237.

Ce texte a été publié, enrichi de la contribution d'André Legrand, sous ce titre in De la promotion sociale à la formation tout au long de la vie, Marseille, CEREQ, 1996, pp. 69-85.