Première étape

Si l'on en croit un récent rapport de l'OCDE, "à l'avenir, les écoles devraient dispenser aux personnes de tous les âges des formations individualisées et homologuées" (les Echos du 18/1/1996). Ainsi, ce sont des besoins nouveaux qui détermineront, dans une large part, les nouveaux usages.

Les besoins nouveaux sont et seront liés, en particulier, à l'évolution permanente des qualifications et des compétences ; à un volant constant et structurel de demandeurs d'emploi en quête de reconversion, d'un accès à l'emploi ou d'une d'augmentation de leur qualification ; à l'usage formatif d'un temps libéré du fait de la réduction inéluctable du temps de travail ; au flux croissant d'une demande de formation continue de cohortes ayant atteint, à 80 %, le niveau bac et qui, pour une large part d'entre elles, auront suivi tout ou partie de cursus de l'enseignement supérieur.

La future formation continue de ce flux croissant de bacheliers alimentera la demande de formation supérieure continue. Dans le cas d'un échec au bac, les populations concernées, proches du niveau IV, aspireront, par le truchement de la validation des acquis professionnels, à accéder à l'Université et auront des besoins qui, "naturellement", les conduiront vers une recherche de formation post-baccalauréat.

Il est clair que ces besoins "nouveaux" ne seront pas sans conséquence sur les usages de la formation mis en oeuvre aujourd'hui, mais quelle sera la part de promotion sociale dans cette formation tout au long de la vie ?

Tentons à présent de dresser, sans prétention à l'exhaustivité, une sorte d'inventaire "à la Prévert" de ces usages à venir.

  • Usages nouveaux, sans doute, en matière d'adaptabilité des individus et des connaissances visant à la transférabilité des savoirs dans d'autres secteurs d'activité. En effet, on ne peut concevoir aujourd'hui des formations qui ne prépareraient pas, en même temps qu'elles forment, aux évolutions de plus en plus rapides du travail. N'est-ce pas la fin de dispositifs par trop finalisés, par trop utilitaristes, par trop centrés sur l'immédiateté ? Certes non, des formations pointues et adaptatrices ont encore de beaux jours devant elles mais peut-être en nombre et en durée plus limités.

  • Usages nouveaux qui faciliteront la gestion d'un flux croissant de besoins à satisfaire, mais sans doute aussi avec des moyens nouveaux, souvent encore à inventer.

  • Usages nouveaux qui permettront de clôturer la période des stages occupationnels et qui favoriseront, dans le cadre d'une diminution du temps de travail, des réinsertions et des reconversions réelles de publics issus de secteurs en crise ou en restructuration ou dits en difficulté d'insertion.

  • Usages nouveaux qui faciliteront, la conduite de projets individuels de formation, professionnels ou non, et qui répondront à la demande sociale de formation, conséquence du temps libéré et qui dépasseront la simple logique de l'adéquation entreprise/emploi/formation pour s'intéresser à d'autres usages sociaux de la formation, producteurs d'autres richesses et de réinvestissement dans le social. En d'autres termes, qui marqueront le retour ou la naissance de la formation citoyenne et solidaire, fondatrice du lien social aujourd'hui si recherché et si prisé.

  • Usages nouveaux pour satisfaire les besoins de ceux dont la demande de formation continue s'adressera directement à l'enseignement supérieur pour une première formation continue ou pour une formation continue récurrente permettant de mettre à jour des savoirs disciplinaires ou professionnels en voie d'obsolescence.

  • Usages nouveaux liés aussi au départ de salariés vers les pays de l'Union européenne ou à l'accueil de certains de ses ressortissants et dont les compétences ou les équivalences demandent à être augmentées ou confirmées afin d'être reconnues.

  • Usages nouveaux en matière de validations des acquis et de certifications, prenant en compte les savoirs de l'expérience.

  • Usages nouveaux relançant une "vraie" politique de promotion sociale que l'accès "démocratisé" à l'Université et le blocage de "l'ascenseur social" ont très largement paralysée, même si elle est encore possible dans quelques "niches promotionnelles" dans des secteurs de pointe ou en plein développement, comme l'informatique ou la communication le furent il y a quelques années.

  • Usages nouveaux aussi quand aujourd'hui se former ne signifie plus, pour beaucoup, se promouvoir mais se maintenir dans l'emploi ou tenter d'y accéder ou de mettre un terme à une trop grande précarité. Constat qui transforme, aux yeux de quelques-uns, la promotion sociale en vitrine, voire en duperie, lorsqu'on sait que, pour y parvenir, dans la majorité des cas, un minimum de bagage (souvent un bac + 2) est indispensable.

  • Usages nouveaux dans le cadre d'une économie duale où les financements, l'ingénierie et les pratiques seront liés aux statuts des apprenants. Formation duale, elle aussi, productrice de compétences pour les uns, accompagnatrice de la précarité pour les autres.

Nouveauté et multiplicité des usages, entrée dans la société des savoirs238 qui devra s'accompagner d'une réflexion collective afin de ne pas sombrer dans une vision "totalitaire" de la formation durant toute la vie, vision d'une éducation permanente et obligatoire, gouvernée par la dictature du projet de formation à tous les âges et dans toutes les circonstances. Veillons collectivement à ce que la formation demeure une manifestation de la liberté et non la fille de la contrainte et de la légitimité économique.

Notes
238.

Alain d'Iribarne, lors de ce colloque, plus pessimiste peut-être, parle lui de "l'économie des savoirs".