Conclusion

L'étude, pour sa plus grande part, reste à conduire mais son lancement ouvre déjà des horizons nouveaux et oblige à des interrogations opportunes. Elle favorise des remises en question, percute des certitudes et permet de lire le réel avec d'autres grilles.

L'esprit de la démarche-qualité nous a séduits, écrivions-nous déjà en 1993, car il s'agit "de garantir au stagiaire la liberté de choix, dans un environnement dont la lecture n'est pas toujours aisée, et de lui laisser définir la nature de son retour d'investissement : qualification, diplôme, satisfaction... Nous nous sommes donc, tout naturellement, engagés dans une réflexion sur la qualité car pour nous : "Toute démarche-qualité peut être envisagée comme la décision de s'engager dans une clarification des relations qui unissent processus de production et produit, produit et usagers"256. Mais attention, la formation n'est jamais un produit fini : le stage terminé, le grain est dans la terre et ce n'est souvent qu'après que tout commence, ce n'est que plus tard que les effets durables et continus se constatent. Il conviendra donc de mesurer la qualité avec finesse et prudence, de toujours se garder de jugements hâtifs et sans nuance. La mesure de la qualité demandera aux évaluateurs de celle-ci des outils et des compétences, sans aucun doute, mais surtout une grande capacité de distanciation et une déontologie à toute épreuve. Il sera opportun aussi de se souvenir que la démarche-qualité est un processus itératif, qu'une amélioration de tel ou tel élément peut entraîner en chaîne des modifications en amont et/ou en aval du système et par retour, de devoir modifier à nouveau l'élément qui fut à l'origine de la modification initiale.

"Le défaut, c'est la vie, c'est lui qui permet les évolutions, qui exige l'étude et qui favorise la compréhension des phénomènes. Le dysfonctionnement est gage des qualités à venir. La gestion des aléas est source de créativité et des améliorations permanentes de nos dispositifs de formation"257. Prenons-en acte et soulignons les risques, dans nos métiers, de démarches-qualité mal maîtrisées, cédant à la tentation bureaucratique, technocratique. En effet, des procédures, des conduites et des gestions de dispositifs trop rigides aboutiraient rapidement aux résultats contraires à ceux escomptés. Sur cet aspect, nous ne pouvons qu'appeler à la vigilance de tous, en rappelant les propos de G. Duval : "Derrière le jargon des "qualiticiens" et des instances de normalisation, ce n'est rien moins que l'extension de la logique taylorienne aux ingénieurs et techniciens qui est en jeu" ou encore : "L'enjeu de l'ISO 9000 est donc d'étendre les principes de base du taylorisme aux activités périphériques à la fabrication : une stricte définition des postes et des tâches transparentes pour la direction générale ; une stricte définition des liaisons amont et aval de chaque poste de travail. De quoi aisément substituer les personnels et diminuer le pouvoir qu'apporte la qualification.(...) Il est difficile de mesurer dès aujourd'hui quelles seront les conséquences à long terme d'une généralisation de la certification. Pour les défenseurs de la norme, elle devrait permettre de livrer plus rapidement des produits de meilleure qualité. Mais ne risque-t-elle pas au contraire, en limitant l'esprit d'initiative des individus et la flexibilité des organisations, de limiter le progrès des techniques en noyant les ingénieurs et techniciens sous les procédures ?"258.Le débat reste ouvert, les mises en oeuvre seront l'objet d'une observation attentive, encore plus au centre d'éducation permanente qu'ailleurs, de manière à éviter toute dérive "qualitotalitaire". Mais ce n'est pas pour autant une justification de toutes les frilosités et il faudra, sans doute, dépasser les appréciations trop simples et trop superficielles de la qualité proposées par certains. Il sera nécessaire en effet, à notre sens, de dépasser la seule observation mécanique des fonctionnements, qui limite les critères de la qualité à "la faculté de l'organisme à réagir en fonction de l'évolution du marché, (...de) la qualité des ressources et de l'environnement pédagogique, (...de) l'investissement dans la formation des formateurs et la capacité d'auto-évaluation"259 de l'organisme. Les investigations doivent intégrer la dimension historique et économico-sociale de nos "produits" et s'intéresser à la phase de conception et aux procédures de construction. Nous partageons l'avis de Y. Minvielle lorsqu'il écrit : "L'entrée par la qualité conduit donc à un renforcement et à un développement des démarches d'ingénierie de formation."260 Toutefois, il convient d'éviter le piège de l'hyperrationalisme et de ses rigidités d'une part, de l'autre la constitution d'un corps de spécialistes, labellisé "ingénierie es-qualité", seul habilité à la conception de dispositifs et reléguant au travail pédagogique, moins noble et souvent précarisé, la grande masse des formateurs, nouvelles victimes de la taylorisation et de la division du travail.

Notes
256.

H. Lenoir et citation interne au texte de J. Pellegri, op. cit.

257.

H. Lenoir, op. cit.

258.

G. Duval, Taylor rattrape les cols blancs, Alternatives économiques, janv. 1993.

259.

Réponse à la question : quels sont les critères de la qualité pour le choix d'un organisme de formation ?, Flash formation continue, n° 308, du 1er juillet 1990.

260.

Emploi et Formation, n° 6, du 10 novembre 1993.