Parmi les informations produites par l'étude, certaines méritent particulièrement d'être évoquées. Les perceptions et le point de vue des stagiaires sur les formations ont favorisé la prise de conscience de la nécessité de renforcer l'articulation entre la théorie et la pratique, ce qui interroge le fonctionnement même de la formation continue dans l'enseignement supérieur. En effet, comment réussir ce difficile équilibre entre "besoins" du stagiaire et les exigences de l'Université, entre la théorie, gage de compréhension, d'adaptabilité et de transfert, et l'opérationnalité garante, à terme, de l'emploi. Comment préserver la réflexion et le savoir sans sacrifier la production des compétences, comment rendre "capable" sans renoncer à la connaissance ? Il est clair, pour tous, que l'Université ne peut céder à l'exigence d'un pragmatisme qui souvent cache une demande d'adaptation mécanique des hommes au travail, mais il est aussi évident, pour nous, compte tenu de notre mission et du caractère professionnalisant de nos formations qu'aux savoirs théoriques doivent s'adjoindre des éléments permettant la mise en actes de ces savoirs, c'est-à-dire l'exercice de la compétence en situation de travail.
Il est clair qu'un tel souhait est aussi l'expression de la tentation permanente des universitaires de tirer les contenus de leurs enseignements dans le champ de la théorie, car ils "considèrent, certainement à juste titre, que le savoir de type universitaire doit être préservé de tout asservissement aux intérêts économiques. Ils refusent de suivre des "effets de mode" et de fournir aux stagiaires des "recettes de cuisine". Placées dans une perspective universitaire, les formations qu'ils proposent offrent des outils intellectuels, favorisent la réflexion théorique et l'intelligibilité du domaine étudié. Le contexte universitaire, très présent au CEP, renforce cette conception"273. Quelle que soit la noblesse de ces préoccupations, le "tout théorique" ne peut, toujours et dans toutes les circonstances, se justifier et une réflexion importante sur l'articulation théorie et pratique s'impose, même si la composition des équipes pédagogiques constituées d'universitaires et de professionnels, ce qui n'est pas une garantie absolue, vise à l'équilibre entre pensée et action.
Autre constat, celui d'une tendance à l'utilisation d'une pédagogie trop magistrale, pas assez active qui, là encore, malgré un souci permanent, est sans doute un effet du milieu auquel il nous faut veiller et sur lequel nous devons travailler. La "gestion" pédagogique des stagiaires, c'est-à-dire leur encadrement et leur suivi, est considérée comme "trop universitaire", les formateurs n'apparaissent pas toujours assez disponibles. Les usagers estiment bénéficier de "trop d'autonomie", ne pas recevoir assez de conseils, manquer de guidance. En bref, "on est souvent livré à nous-mêmes"274, déclarent-ils. Cette critique légitime renvoie à plusieurs réalités, à la fois les attentes d'une plus grande prise en charge des uns et de la reproduction en formation continue de pratiques, pas forcément excellentes non plus, héritées de la formation initiale. Comment permettre aux apprenants d'utiliser au mieux cette autonomie qui leur est offerte, sans qu'elle les pénalise et sans sombrer dans un encadrement pédagogique infantilisant ? Là encore, un subtil équilibre est à trouver, entre besoins explicites et besoins réels, dynamique pédagogique et confort, dont on peut penser qu'il est aussi un critère de qualité.
Autre apport de ce travail, mais là, il s'agit d'une simple confirmation, c'est l'inadaptation d'une partie de nos locaux dédiés à la pédagogie qui sont trop "universitaires", quelquefois exigus ou en d'autres mots manquent, sauf filières particulières, de salles de sous-groupes, d'équipements audiovisuels fixes... Constat qui, dans une université, renvoie pour une part à la place et à la politique d'éducation permanente de l'établissement et dépasse les seules volontés et les seules possibilités d'un service commun de la formation continue. Constat qui marque aussi la limite de la démarche-qualité dans ce contexte, si elle n'est pas articulée à une politique d'établissement.
Une demande de clarification "des modes de fonctionnement interne" ainsi que des explications sur l'organisation du travail en matière de "répartitions des fonctions entre la direction, les coordinateurs et les gestionnaires"275 furent souvent formulées. Demande qui révèle l'opacité de notre gestion interne en termes de tâches et de responsabilités et qui nous interroge sur la communication à développer en direction des utilisateurs. L'amélioration de l'information disponible, en particulier sur nos modes de recrutement qui semblent souvent obscurs donc arbitraires, apparaît une priorité dans la réflexion engagée. Il convient sans doute d'afficher les critères, souvent très élaborés, qui président à nos recrutements et qui, en préservant l'hétérogénéité des parcours et des profils dans les groupes d'apprenants, entretiennent ce sentiment d'incompréhension, voire "d'amateurisme". Impression souvent renforcée par notre difficulté à gérer une réelle individualisation que la gestion de petits flux de stagiaires rend économiquement problématique sans rien lui ôter de sa complexité pédagogique.
Ces quelques exemples de perceptions montrent, sans plus de démonstration, combien un système qui semble fonctionner a besoin d'être régulièrement "audité" afin de déceler ses dysfonctionnements. Car, si certains tiennent de l'évidence, d'autres ne sont repérables que par l'investigation, ce qui confirme que la démarche-qualité est une démarche permanente dont chacun est acteur, même si quelquefois, il est nécessaire de déléguer tout ou partie de l'observation à un regard extérieur. La qualité, sans céder à une dérive incantatoire276, à des rites superficiels ou à des pratiques magiques, doit devenir un état d'esprit, un souci partagé, non pas pour satisfaire à un quelconque projet d'entreprise, dont on connaît la fonction idéologique277, mais dans un souci éthique de la part de ceux et celles qui sont engagés dans la conduite d'actions de formation dont on connaît, pour une large mesure, les effets potentiels qu'elles peuvent provoquer chez les individus.
L'intérêt d'une telle investigation est aussi de mieux repérer les points forts d'une institution, même si, en règle générale, la dysqualité émerge plus spontanément. En particulier, en ce qui concerne le CEP, la possibilité de reprise d'études, à la fois diplômantes et qualifiantes, et de validations des acquis278 apparaissent comme un atout important. De même que, bien qu'elle révèle une relative contradiction dans le discours des apprenants, la capacité théorique des formateurs qui, si elle suscite de l'angoisse quant à l'opérationnalité, donc face à l'emploi, est considérée comme un élément important de la qualité de la prestation servie par le centre d'éducation permanente.
Pour une démarche qualité au CEP, op. cit. p. 15.
Ibid., p 22.
Ibid., p. 27.
Vidal F., op. cit., p. 67.
Voir, à ce propos, Le Goff J.P., le Mythe de l'entreprise, Paris, La Découverte, 1992, et en particulier les chapitres 2 et 3.
Application du décret de 1985 et de la loi de 1992 sur la validation des acquis professionnels dans l'enseignement supérieur.