L'ingénierie

Là encore, nous ne livrerons que les constats les plus significatifs, et - nous l'espérons - accessibles à la compréhension d'individus extérieurs à la structure où fut conduite l'étude, sans tomber non plus dans la langue de bois du "tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possible". Aux dires des acteurs interrogés, il apparaît que l'ingénierie utilisée dans la construction des filières se soit, dans les dernières années, instrumentée et rationalisée. Les procédures de construction semblent moins intuitives et les "produits" davantage reposer sur des analyses de la situation et du secteur professionnel plus approfondies, ce qui dénote, à notre sens, une professionnalisation croissante de notre activité. Mais, par ailleurs, il est constaté une faiblesse quant à nos capacités à faire vivre et évoluer ces mêmes "produits", ce qui souligne une relative inefficacité de notre veille pédagogique et une hésitation permanente entre la tentation théorique, évoquée plus haut et largement construite sur la permanence, et une recherche constante de la pratique alimentée par le réel immédiat. Cette question de l'évolution de nos filières coincées entre les exigences des savoirs et la nécessité de l'action exige des coordinateurs, qui exercent la responsabilité scientifique et pédagogique des diplômes, une grande capacité de synthèse d'informations souvent contradictoires et une grande vigilance face aux évolutions en cours. Ce constat confirme l'importance d'une fonction, essentielle à la vie de nos formations, qui exige à la fois une bonne réactivité à l'environnement, en préservant les fondamentaux, sans pour autant accepter, ni refuser systématiquement, les modes ou les outils du moment.

Par ailleurs, cette constatation nous amène à interroger plus largement la fonction de coordination et ce qui est nécessaire à sa maîtrise. Une telle activité impose-t-elle une professionnalisation accrue ou simplement une plus grande disponibilité physique et intellectuelle d'un spécialiste de l'une des disciplines de formations souvent pluridisciplinaires ? Quelles compétences sont requises pour anticiper les changements, pour harmoniser les contenus, articuler les interventions, les méthodes pédagogiques et mettre en cohérence les modalités d'évaluation..., sans tomber dans le piège du tout procédural et de l'uniformité ? Comment renforcer les compétences transversales des coordinateurs en matière de gestion et d'animation d'équipes pédagogiques dans un univers mobile et composé d'universitaires, de professionnels et de consultants, permanents ou non ? Comment renforcer la régulation et le suivi en direction des apprenants dans une structure où la culture dominante est la culture universitaire, pour laquelle l'autonomie, volontaire ou non, des apprenants est considérée comme vertueuse et, bien entendu, formatrice dans tous les cas ?

Cette étude a encore permis de faire la preuve que, malgré un effort permanent, il nous fallait renforcer nos liens avec l'entreprise. Car, si notre connaissance du milieu professionnel est bonne, grâce aux intervenants professionnels qui pondèrent notre perception trop idéaliste et/ou simplificatrice de cette réalité, nos contacts avec les lieux de stages et les "tuteurs" demeurent trop ténus et quelquefois même quasi inexistants : le CEP " prend les stagiaires et ensuite on les laisse dans la nature, on ne va pas les voir pendant leur stage. Il n'y a pas de tuteur et pas assez de relations avec les entreprises"279.

Un large consensus existe sur la nature et la qualité des contenus, comme sur leur pertinence car même s'ils apparaissent quelquefois trop théoriques et trop loin d'une souvent mythique opérationnalité, jamais ils ne sont considérés comme inutiles.

L'évaluation des apprenants et de leurs apprentissages, en revanche, a été assez largement critiquée, non pas dans sa légitimité, pas plus que dans sa fonction sommative qui dans un cadre universitaire fait partie du "contrat initial". L'essentiel de la critique a porté sur la trop rare pratique de l'évaluation formative. Evaluation formative qui aurait pour but, non seulement de favoriser la mise en place de cursus individualisés, rarissimes à ce jour, ou de proposer des compléments d'apprentissage éventuels, mais surtout de permettre aux apprenants de mieux appréhender leur degré de compétences. En effet, les limites de l'évaluation sommative ont été spontanément trouvées par les stagiaires, car avec celle-ci "on ne sait pas ce que valent nos travaux"280. Nous sommes donc confrontés là à une demande explicite d'amélioration, non pas pour des raisons d'ordre philosophique, quant à la valeur et au sens de l'évaluation sommative, mais pour satisfaire une revendication toute pragmatique : se situer en termes de compétences par rapport à un professionnel archétypique présent sur un marché du travail difficile et terriblement concurrentiel. Une telle demande réclame une nécessaire réflexion sur nos pratiques d'évaluation qui, tout en conservant les exigences de l'université, devraient aussi pouvoir permettre aux stagiaires de se positionner en matière de savoir-faire et de niveau de maîtrise de telle ou telle activité professionnelle. Ce constat, du point de vue des équipes pédagogiques du CEP, implique de réinterroger nos conceptions de l'évaluation, de repenser nos outils et sans doute d'y consacrer plus de moyens.

Notes
279.

Pour une démarche qualité au CEP, op. cit,. p. 43.

280.

Ibid., p. 41.