Réflexions sur la qualité

Cette étude, au-delà de mieux nous donner à connaître les points d'amélioration sur lesquels faire porter en premier notre effort qualité, a permis de vérifier quelques hypothèses produites en 1993 et 1994, à savoir que la dysqualité est un acte partagé qui s'organise autour du couple qualité de la commande/qualité de l'offre, autour de la qualité du lien client/prestataire ou dans la relation pédagogique formateurs/apprenants et que tout nouvel acteur introduit dans le système est à la fois porteur et destructeur de qualité. Ce qui, dans le cas d'organismes de formation, où les populations sont changeantes et en perpétuel renouvellement, n'est pas sans obliger à une vigilance de tous les instants, à un pilotage méticuleux du processus qualité. Processus complexe qui en l'état perd de son caractère mécaniste, qui renonce à la fonction démiurgique et illusoire de la qualité totale, pour réinvestir une dimension humaine, certes imparfaite, mais évolutive et viable. De plus, "l'acte de service est toujours une coproduction (...), la prestation de service se fait (partiellement) au contact du client et requiert sa collaboration. C'est-à-dire que la qualité du service (...) ne dépend pas des actes du seul prestataire de service, mais aussi du client"287 et ce, en matière de formation, de la conception à la mesure des effets.

Une autre vérification, résultat de ce travail, est que "la qualité en formation n'est pas unidimensionnelle"288, qu'elle est propre à chacun des acteurs impliqués, qu'il n'y a pas "une mais des qualités de la formation" et qu'il s'agit soit "de satisfaire les besoins d'un utilisateur considéré comme dominant ou de tenter de combiner des points de vue éventuellement divergents"289.

Points de vue divergents et population fluctuante dans le cadre d'une activité humaine non strictement reproductible290 ce qui décuple la difficulté de la mesure de la qualité et renforce la forte capacité de détermination des acteurs dans le processus. Cet ensemble de contraintes de situation permet donc d'affirmer que la valeur prédictive des engagements qualité est faible, d'autant qu'il est fort difficile de prévoir les multiples aléas que tout dispositif de formation génère et que seule la réactivité des acteurs permet de gérer. Ainsi, "l'assurance qualité, dans ce domaine, réside donc moins dans la garantie contractuelle d'un fournisseur à l'égard de son client, que dans l'engagement d'analyser ensemble, de façon continue, l'évolution de projets dans lesquels ils jouent chacun un rôle"291. En tout état de cause, "réussir la mise en place de la qualité c'est savoir choisir entre les processus qui, parce qu'ils mettent en péril l'organisation, doivent être impérativement mis sous assurance qualité (si tant est que cela soit possible et souhaitable292) et les processus qui doivent être laissés à la conduite des individus ou des équipes"293, ce qui implique bien pour le moins, de laisser dans certains domaines, une part de liberté et d'initiative aux acteurs dans le système et que, dans le secteur professionnel de la formation, la qualité ne saurait être contrainte et réduite à la description et à la mise en oeuvre de procédures, fussent-elles pertinentes.

Une telle complexité et de telles incertitudes amènent à une certaine réserve quant à l'usage du discours sur la qualité en formation, plus souvent au service du marketing que du client. Ce qui conforte notre position quant au fait qu'il s'agit plus de créer un état d'esprit, une culture, voire un réflexe qualité que de sombrer dans la croyance en la qualité totale grâce à la maîtrise d'un ensemble de procédures. Ainsi, nous partageons le point de vue de F. Aballéa pour qui "les démarches-qualité amènent à concevoir la formation comme un processus systémique (...). Elles ne conçoivent pas la formation comme un produit fini, mais comme un dispositif dynamique qui agence plusieurs fonctions (...) et donc la qualité repose sur la cohérence"294. Conception qui, au-delà d'être réaliste, rend à l'ingénierie de formation et à la conduite des dispositifs toute son importance, comme elle rend essentielle sa dimension pédagogique en libérant l'une et l'autre de la tentation normalisatrice et par nature réductrice.

A l'issue de ce travail, un paradoxe demeure qui est sans doute le paradoxe de l'évaluation-qualité toute entière. N'est-il pas contradictoire, en effet, qu'une action réputée insatisfaisante et échappant à un cahier des charges puisse, à terme, produire des effets positifs, quand une action en tout point conforme provoque des manifestations négatives. Là est sans doute l'une des difficultés majeures de l'évaluation-qualité, nos "produits" sont vivants et évolutifs, leurs environnements changeants, leurs acteurs mobiles : comment alors produire les effets attendus sans céder à des rigidités inopérantes dans le réel de la pédagogie des adultes ?

Notes
287.

Manenti Y., la Qualité des services comme processus in la Qualité dans les organismes de formation, op. cit., p. 29.

288.

Lenoir H., la Formation continue à l'Université face au défi qualité,op. cit.

289.

Bercowitz A., Fievet P., Poirier D., Pour apprécier la qualité en formation, L'Harmattan, Paris, 1994, p. 24, souligné dans le texte.

290.

A ce sujet, voir l'article de Manenti Y. cité plus haut.

291.

Pour apprécier la qualité en formation, op. cit., p. 26.

292.

Ajouté par nous.

293.

Vidal F., op. cit., p. 67.

294.

Aballéa F., Du bon usage des démarches-qualité en formation professionnelle, in la Qualité dans les organismes de formation, op. cit., p. 43 (en gras dans le texte).