La qualité sera l'oeuvre des acteurs eux-mêmes
ou les chemins périlleux de la qualité
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Cet article est à la fois un premier bilan et une réflexion critique sur le courant et les démarches de qualité en formation. Il tente, à partir de l'appel d'offres de la Délégation à la formation professionnelle de 1989, de tirer quelques leçons sur cette pratique issue de l'industrie. Sans nier l'importance d'un besoin de qualité de la formation dans le service public, il interroge le bien-fondé et les résultats de certaines démarches. Il reprend, en l'approfondissant et en l'argumentant, la critique radicale d'une certaine qualité dont la finalité cachée est la simple productivité et dont la conséquence serait une forme de taylorisation du travail des formateurs. Dans le cadre de ce travail, cette contribution rappelle l'évolution (rupture) de certains secteurs de la formation permanente qui, en renonçant pour une part aux valeurs de l'éducation, acceptent et/ou affirment que l'éducation est un produit comme un autre sur un marché concurrentiel. Elle souligne que le prima de la logique économique sur la formation nuit au développement des individus qu'ils soient usagers du service public ou formateurs. Elle constate que le "tout marché", que la démarche qualité camoufle souvent habilement, est à terme un ferment de fracture malgré ses prétentions universalistes.

Quelles que soient la teneur de cet article et la sévérité de certaines critiques à l'égard de la qualité, de notre point de vue justifiées, il ne s'agit pas de construire un réquisitoire afin de la vouer aux gémonies. Néanmoins, il vise à relancer la discussion et le débat sur certaines dimensions des démarches-qualité, trop souvent négligées. Il ne s'agit donc pas de nier la nécessaire qualité de la formation, inhérente à la notion de service public dans lequel s'inscrit ce supplément de la revue Education permanente, mais d'interroger les valeurs et les pratiques portées par les démarches qui s'en réclament. Afin de lever les soupçons de procès en sorcellerie que nous pourrions vouloir instruire, nous rappellerons pour mémoire que nous écrivions dès 1993 que "l'esprit de la démarche (qualité) nous a séduits (... car elle favorise) une clarification des relations qui unissent processus de production et produit, produit et usager"296. Ce texte vise donc plus à questionner la méthode et les démarches que le principe. En effet, ce n'est pas de la recherche de la qualité dont il faut se méfier mais des démarches ou de certains de leurs aspects mal maîtrisés ou trop bien pensés "ailleurs".

Au-delà, cet article est une tentative d'inscrire la qualité de la formation dans une logique de service public297 de l'éducation des adultes (SPEA) où la qualité respecte les trois grands principes qui le définissent, à savoir "la continuité298 (...), l'égalité (...), la mutabilité, selon laquelle les prestations sont adaptées aux besoins et évoluent en quantité et en qualité"299. Il se veut une incitation pour que soient dégagés, petit à petit, des critères et des démarches-qualité propres au SPEA ou pour le moins compatibles avec ses valeurs.

Cette réflexion s'organisera en trois temps, un premier où nous reprendrons et nous analyserons sommairement et rétrospectivement les termes de l'appel d'offres "fondateur" de la qualité à la formation lancé par la Délégation à la formation professionnelle (DFP) en 1989. Un deuxième où nous esquisserons quelques remarques soulignant les avantages et les limites des démarches-qualité en formation des adultes. Un troisième où, nous appuyant sur un dossier de Guillaume Duval paru dans Alternatives économiques, nous montrerons qu'il est plus nécessaire que jamais, mais n'est-il pas déjà trop tard, de débattre des aspects implicites de la qualité.

Notes
295.

Cet article a paru in Education permanente, n° 131/1997-2 (supp. EN).

296.

Lenoir H., la Formation continue à l'Université face au défi qualité, Journal de la formation continue et de l'EAO, n° 269, 1993.

297.

Il existe à cet égard une circulaire du Premier Ministre du 23 février 1989 et une Charte des services publics de mars 1992. Cette dernière a le triple objectif "de placer l'usager au centre des préoccupations, d'améliorer la qualité du service et d'accroître l'efficacité en maîtrisant les coûts", article de Claireau P. et Rodrigues P. in Pour une citoyenneté européenne, quels services publics ? Paris, éditions de l'Atelier, 1994, p. 90.

298.

Souligné par nous.

299.

Bauby J.-P., Boual J.-C. (dir.), Pour une citoyenneté européenne, quels services publics ?
Op. cit., p. 12.