L'appel d'offres sur la qualité en formation

La revue Education permanente dans sa livraison d'avril 1989, n° 97, en publiant le texte : Application de la "démarche-qualité" à la formation professionnelle continue, qui reprend les termes de l'appel d'offres de la DFP piloté par André Voisin, fut pour beaucoup dans la popularisation du thème de la qualité chez les formateurs.

Pour la communauté professionnelle en effet, l'émergence de la problématique qualité dans la formation est intimement liée au lancement de cet appel d'offres public. Même si quelques expériences étaient déjà conduites ici ou là et évoquées dès ce numéro comme "présentables et analysables"300 (sic), en particulier à l'Education nationale, et si quelques experts avaient eu vent du rapport du cabinet Bernard Brunhes.

L'appel d'offres de la DFP développe trois arguments qui vont dans le sens d'une nécessaire évolution du secteur de la formation face à "un marché devenu plus exigeant". Avant que ces arguments ne soient développés, la formation, sans plus de débat, est "intégrée" au marché et, du même coup, "acceptée" comme un produit parmi d'autres. Il y a bien là, évolution (rupture ?) de ce qui jusqu'alors fondait l'éducation permanente et ses activités. Qu'il y ait évolution paraît légitime, ce qui étonne, c'est que cette évolution ait très largement précédé la réflexion et qu'elle soit présentée comme un phénomène "naturel". Ce glissement, qui ne provoqua que peu de résistance, fut-il la marque d'une perte des valeurs, le fruit du réalisme, la reconnaissance de bon ton des bienfaits de l'idéologie libérale dominante ? Les trois sans doute, mais cette transformation du fait éducatif en produit inscrit sur un marché concurrentiel n'est pas neutre, ni pour les utilisateurs, aussitôt rebaptisés "clients", ni pour les formateurs. En effet, une telle "évolution" justifie aussi, en inscrivant la formation dans les règles classiques de l'économie, la réalisation de plus-value sur le travail. Il n'est pas question de nier ici le lien que la formation entretient avec le monde économique, la loi de juillet 1971 est claire sur ce point, il s'agit de souligner uniquement les effets produits par le renforcement d'un lien qui favorise le seul développement économique au détriment de tous les autres.

Les arguments de l'appel d'offres sont les suivants :

  • " la croissance de l'effort de formation rencontre à présent des limites physiques et financières ; ce qui conduit à s'interroger sur la manière de "faire plus", mais aussi "faire mieux" ;

  • les performances inférieures aux attentes, notamment dans les situations liées à l'emploi, font peser un certain soupçon sur la pertinence de la formation dispensée ; ce qui conduit à s'interroger sur les conditions concrètes de la réalisation de la formation ;

  • la forte demande d'évaluation ne peut être satisfaite par les seules procédures traditionnelles ; ce qui conduit à favoriser d'autres approches et d'autres modes d'appréciation des résultats de la formation".

Voilà quelles étaient les raisons qui poussaient à l'évolution et, à leur relecture, il est opportun de se demander si près de dix ans de déclarations et de discours incantatoires sur la qualité ont réellement modifié le champ et les pratiques de la profession. Certes, quelques-uns ont l'illusion de "faire plus" et de "faire mieux", mais comment le mesurent-ils et n'est-ce pas là le résultat logique d'une réflexion et de la professionnalisation des acteurs dans un secteur en constitution ? "Les performances inférieures aux attentes" (lesquelles ?) se sont-elles réellement améliorées et le "soupçon sur la pertinence" est-il définitivement levé malgré un travail réel d'interrogation et d'amélioration de l'activité dont le plus grand nombre convient ? L'évaluation, enfin, a-t-elle connu de significatifs bouleversements, ses procédures ont-elles fortement évolué ? Rien n'est moins sûr.

Quant aux résultats attendus de cet appel d'offres, ils étaient les suivants : "Vérifier sinon fonder, la pertinence d'une utilisation des démarches et des méthodes de la qualité dans le champ de la formation continue (...), permettre de mieux connaître et de mieux comprendre les applications concrètes actuellement mises en place dans les entreprises et les branches, les administrations ou organismes de formation en matière de qualité".

Le premier attendu est celui que cet article interroge et nous y reviendrons, le second, sans vouloir nous poser en évaluateur, fut largement atteint301.

La problématique de l'appel d'offres, qui ne pose ni la question des valeurs ni celle des présupposés économiscites de la démarche-qualité, s'articule autour de trois principes, une définition de la qualité devenue aujourd'hui classique "satisfaction des besoins des utilisateurs (...), le mode d'amélioration (que la qualité induit) est un processus d'ensemble (conception, suivi, régulation...), (la qualité implique) la participation et la responsabilisation de toutes les parties prenantes", participation qui demeure encore largement déficiente302.

Comme le reconnaît aujourd'hui André Voisin, le milieu professionnel par ses recherches et ses pratiques était déjà largement préparé à la question de la qualité en 1989, par l'analyse de besoins, les objectifs et l'évaluation à la "transposition" des outils de la qualité industrielle dans l'activité formation303. Ce qui est tout à fait exact, si on adopte un strict point de vue méthodologique. Mais il n'y a pas d'outils "sans valeur" et sur ce point le milieu était particulièrement en déficit de réflexion. André Voisin en convient, d'ailleurs, en écrivant "toutefois, (à l'époque) les enjeux relatifs à la qualité de la formation demeurent encore généraux et diffus"304.

Il constate aussi qu'"une première dimension problématique, que les "démarches-qualité savent mal prendre en compte, est celle de l'implication du formé dans la démarche-qualité et la maîtrise de l'acte pédagogique lui-même. Il semble, en effet, que la démarche-qualité se soit focalisée jusqu'à présent sur la relation entre l'entreprise cliente et l'organisme de formation mais n'appréhende pas la relation formateur-formé où se tisse, cependant, l'essentiel de la qualité"305. C'est à notre sens l'une des questions fondamentales, mais il n'est pas surprenant non plus que ce soit celle-là qui soit restée en suspens. Car la démarche-qualité n'avait pas pour but d'engager un travail sur la pédagogie comme support de la qualité, mais elle visait avant tout une amélioration de la rentabilité et de la productivité des sommes d'argent consacrées à l'effort de formation. Il n'est pas étonnant en cela que la logique économique ait dominé au détriment de la dimension humaine et pédagogique. Cette deuxième dimension, celle centrée sur la production de savoir, sans renoncer pour autant à la première, pourrait devenir le terrain d'excellence et un avantage concurrentiel notoire du service public de l'éducation des adultes comme la démarche des centres permanents engagée à l'EN, il y a quelques années, se proposait de le faire.

Doit-on conclure pour autant que la démarche-qualité en formation a fait beaucoup de bruit pour rien ? Si l'on en juge les premiers résultats : amélioration de la relation "client-fournisseur" qui serait le résultat logique de la professionnalisation, l'aboutissement de relations partenariales306 ; "faire plus" et faire mieux", dont la mesure réelle reste pour le moins discutable ; évaluer avec davantage de pertinence qui demeure largement illusoire et aucune avancée notoire à noter dans le champ de la pédagogie, la réponse est oui. Une telle conclusion peut paraître hâtive et prématurée, mais la question mérite d'être posée. Un dernier objectif des démarches-qualité non encore évoqué était celui de la moralisation du marché. Il s'agissait d'en finir avec "les marchands de soupe". Qu'en est-il dans la réalité, y a-t-il moins de "marchands de soupe" - qui sont tout compte fait les premiers à avoir intégré la logique de marché - ou simplement moins de soupe à faire du fait de la raréfaction des ressources ? Est-ce le marché qui, en se rétractant, a réduit le nombre des opérateurs "douteux" ou est-ce la démarche-qualité ? Les deux, diront les plus libéraux. Notre point de vue est plus nuancé, car, comme le dit le proverbe, ce ne sont pas toujours les meilleurs qui partent les derniers.

Notes
300.

Tous les extraits de l'appel d'offres sont tirés du n° 97 de la revue Education permanente d'avril 1997, article Application de la "démarche qualité" à la formation professionnelle continue, pp. 103-108.

301.

Il se trouve que je faisais partie du groupe d'experts chargé par la DFP d'analyser les réponses à l'appel d'offres, ce qui attisa sans doute mon intérêt ultérieur pour ces résultats.

302.

Pour mémoire, trois thèmes de recherche étaient proposés : "1. la qualité d'un système de formation ; 2. la qualité d'une action de formation ; 3. la mesure de la qualité".

303.

Voisin A., la Qualité de la formation : effet de mode ou lame de fond ? in Education permanente, la Qualité de la formation, n° 126/1996-1, p. 16.

304.

Voisin A. op. cit., p. 22.

305.

Ibid., p. 29.

306.

Sur ce point, Joël Bonamy et Yves Maneti écrivent : "La nécessité de l'apprentissage de la conduite des relations de service suppose de les pérenniser, la durée permettant l'amélioration de la qualité des interactions. La qualité se construit dans la relation de service et passe par le développement des capacités des acteurs du marché à maîtriser la coproduction et à copiloter la relation de service", in Qualité de la formation : marché et structuration collective, Education permanente, n° 126/1996-1, p. 52.