Enseignement supérieur, formation continue
et développement
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L'écrit suivant ne se réfère plus à la logique qualité, mais il s'inscrit toujours dans une tentative de compréhension de la place et de l'environnement de la formation continue universitaire. Il vise non seulement à la faire évoluer, mais surtout à lui permettre de se développer en lien avec la formation initiale et la recherche. Il propose que les services communs de formation continue, compte tenu de leur situation privilégiée, deviennent des lieux "d'élaboration de théorie-pratique", en particulier dans le domaine de la formation des adultes. Il tente de montrer en quoi les services communs de formation continue peuvent renforcer le lien entre formation et recherche, être un outil de rénovation des pratiques universitaires, un espace de débat entre les composantes et un lieu de rencontre avec le monde socio-économique. En bref, un point de suture.

Ce texte est le résultat d'une réflexion produite à partir d'un lieu d'observation, à la fois privilégié et unique, conforté néanmoins par la connaissance d'autres services communs de la formation continue d'autres universités. Il repose sur un ensemble de considérations à partir desquelles il est possible d'envisager le développement de la formation des adultes, professionnelle ou non, dans l'enseignement supérieur public.

L'Université ne perçoit que trop rarement les possibilités de modernisation que lui offre la formation des adultes, elle y résiste même le plus souvent. La formation continue apparaît pourtant comme une occasion de réflexion et de modernisation des cursus, comme une possibilité offerte de rénovation pédagogique, surtout au moment où l'on parle de professionnalisation et où se mettent en place les instituts universitaires professionnalisés (IUP). En bref, l'Université vit sur ses acquis et ses traditions, c'est pourquoi elle n'est pas en mesure d'intégrer la dimension stratégique que revêt le développement de la formation.

De notre point de vue, la formation continue ne se développera dans ce secteur que si elle parvient à vaincre une double résistance, interne et externe, et à gagner une double reconnaissance. Elle doit tout d'abord trouver sa place au sein même des universités où elle n'occupe qu'un espace marginal. En effet, même si la loi du 26 janvier 1984 fait de la formation continue l'une des missions de l'Université au même titre que la formation initiale et la recherche, elle n'intéresse et ne mobilise que quelques universitaires. Elle est encore trop souvent vécue comme un élément hétérogène, une pièce rapportée dans un puzzle organisé depuis le Moyen Age.

Au-delà d'une modernité dérangeante, il est souvent reproché à la formation de ne pas laisser assez de place à la recherche qui est, rappelons-le, le mode principal de légitimation dans l'enseignement supérieur. Cette critique est fondée, mais elle ne tient pas assez compte du fait que la formation est avant tout un mode d'insertion de l'activité dans le réel et qu'elle ne saurait se satisfaire de pure spéculation. Elle se doit donc d'être un objet de recherche particulier, lieu d'élaboration de "théorie-pratique". Un autre reproche qui est couramment fait à la formation est de ne pas toujours respecter la rigueur "scientifique" des autres enseignements et d'avoir trop souvent recours à des personnels atypiques. La remarque est pertinente mais la cause n'était-elle pas à chercher dans le peu d'attention que l'Université porte à ce secteur d'activité ? En bref, la formation professionnelle continue (FPC) doit faire la preuve de son sérieux pour gagner au sein des universités la place qui lui revient, mais l'Université doit aussi lui fournir les moyens de sa reconnaissance.

Elle doit ensuite convaincre les milieux socio-économiques, non seulement de son excellence, mais aussi de l'adaptation de ses réponses aux préoccupations à court et à moyen termes du monde professionnel. La formation continue universitaire est encore souvent vécue comme trop théorique, trop abstraite, trop éloignée de la pratique, paradoxalement trop préoccupée par la recherche. Il lui est souvent reproché d'utiliser une pédagogie peu adaptée à des publics adultes, de reproduire des façons de faire trop proches de la formation initiale, de ne pas assez puiser dans l'activité concrète les éléments constitutifs des enseignements, des démonstrations, des apports didactiques. La dimension critique de l'approche universitaire est aussi quelquefois objet d'incompréhension pour certains milieux professionnels qui la considèrent davantage comme un mode de contestation que comme une démarche intellectuelle, une nécessité favorable à l'appropriation des concepts et à leur mise en application en les adaptant aux situations rencontrées. Cette approche critique et cette distanciation sont, par ailleurs, une garantie essentielle de qualité pour une formation supérieure et peuvent devenir un atout important à une époque qui exige une transférabilité des savoirs et des évolutions professionnelles permanentes. L'Université agit aussi pour le long terme, et en cela la FPC qui y est organisée prend un sens particulier et lui confère pour le coup une dimension d'investissement.

Si les services communs de la formation des universités doivent obtenir cette double reconnaissance et vaincre cette double résistance de la part de leur environnement, il semble que cela soit d'ores et déjà acquis auprès des usagers individuels. L'image du service public, l'aura de l'Université, la possibilité d'obtenir un diplôme sont sans doute des éléments importants de cette reconnaissance.

Quelques difficultés s'opposent encore à la mission de formation de l'Université qui n'est pas hélas encore acceptée par tous à l'intérieur. Elle nécessite un travail important d'information, essentiel, à terme, au changement de mentalités indispensable à son acceptation et à l'évolution des esprits et des cultures. A cette fin, les équipes des services communs ont à développer des relations constantes avec les UFR, à s'engager dans une politique de communication interne ambitieuse et à rechercher des collaborations et des synergies durables. Du côté des entreprises, la construction d'un réseau de contacts et des rencontres régulières permettront sans doute d'améliorer une communication encore récente entre les deux univers. Ces dernières années, des rapprochements ont eu lieu, les échanges se sont multipliés et les réserves réciproques se sont atténuées. Néanmoins, l'effort de dialogue est à maintenir et il facilitera à l'avenir des collaborations régulières. A cette fin, certains services mettent en place de véritables politiques de communication externe et mènent des campagnes actives de relations publiques.

Une fois cette démarche de légitimation engagée, cette reconnaissance acquise, la formation continue universitaire dispose de nombreuses possibilités de développement, aussi bien sur le marché des formations courtes - dites d'adaptation - que sur celui des formations longues, diplômantes ou non, visant une qualification ou une reconversion.

Ce développement pourrait se faire dans trois directions. La première en proposant des formations courtes d'excellence dans les domaines des sciences exactes et sociales, visant à améliorer ou à entretenir une qualification, à permettre à tous un maintien et un perfectionnement des connaissances dans un univers scientifique et social en perpétuel mouvement. Ces formations courtes sont à concevoir en étroite articulation avec la recherche et les secteurs de pointe des universités. Du fait de cette proximité, elles revêtent une fonction stratégique de veille scientifique et technologique, elles permettent d'anticiper les changements, d'intégrer les innovations. Ces formations-vitrines renforcent et valorisent l'enseignement supérieur et elles ne connaissent que peu de concurrence. Il est donc facile aux structures de formation de consolider et de démultiplier l'activité dans ce secteur, de prolonger leur effort sur cet axe de développement.

La deuxième viserait à renforcer les capacités d'intervention des UFR dans la construction de cursus adaptés ou spécifiques à finalités professionnelles. Les centres de formation continue participeraient à cet effort en fournissant des compétences en matière d'ingénierie et conseil. Ces cursus parallèles et complémentaires à ceux des IUP, adaptés aux publics adultes de la formation continue, pourraient proposer sur une ou deux années, dans le cadre du congé individuel de formation (CIF) ou d'une allocation formation-reclassement (AFR), de nombreuses possibilités de reconversion ou d'accès à une qualification supérieure. Ils permettraient aussi de renouveler la tradition de promotion sociale des universités tout en garantissant, du fait de leur lien avec le monde professionnel, une actualisation des diplômes de formation initiale.

La troisième direction est la plus riche et la plus favorable à la croissance et à la reconnaissance des services de la formation à l'Université, en renforçant leur rôle fédérateur, tout en libérant les autres composantes de l'Université des tâches de gestion. Elle consisterait à mettre au point des formations longues et pluridisciplinaires relevant de plusieurs champs de compétences. Par tradition ou par habitude, les différentes composantes des universités ne coopèrent que très peu entre elles. L'exigence des enseignements, le cloisonnement des disciplines et la gestion de flux croissants d'étudiants ne favorisent pas de telles pratiques. Les services communs ont à jouer ce rôle d'aiguillon, cette fonction incitative dans la construction de dispositifs de formation relevant de plusieurs disciplines et visant à la production et à l'acquisition de qualifications transversales ou de "troisième type", si précieuses et si nécessaires à l'exercice des fonctions de management et de la conduite de projet. Cette action fédératrice rend possible la conception de cursus, tel celui de médiateur familial à Paris X, qui non seulement réponde à des demandes sociales réelles de mise en place de formation complémentaire après l'acquisition d'une spécialité mais qui, aussi, crédibilise et renforce l'image de la FPC tout en développant des dynamiques internes à l'université de Nanterre.

Pour mener à bien ce développement, la formation continue des universités doit réunir certaines conditions et se doter de nouveaux moyens. Elle doit s'engager dans une stratégie de professionnalisation de ses agents à tous les niveaux d'organisation. Tout d'abord, en améliorant ses capacités d'accueil et de conseil, voire en développant une fonction "bilan de compétences et projet professionnel", en perfectionnant ses modes de gestion administratifs et financiers, en simplifiant l'accès à l'information de ses partenaires individuels ou collectifs. En deuxième lieu, il lui faut accélérer la formation de ses formateurs, de manière à ce que les capacités scientifiques s'appuient sur de réelles compétences pédagogiques et à créer des synergies nouvelles entre le monde des savoirs de haut niveau et l'activité humaine finalisée. La troisième condition de ce redéploiement passe par l'acquisition de compétences renforcées pour les équipes de direction, dans le domaine des relations publiques et des contacts avec l'environnement socio-économique. Cette ouverture, déjà engagée dans de nombreux lieux, favorise la mise en oeuvre de stratégies locales adaptées aux besoins des bassins d'emploi voisins et autorise la mise en place de formations évolutives et ciblées ne concernant que de petits effectifs.

Ces trois conditions impliquent que les présidences d'université renforcent le rôle des services communs de la formation continue, qu'elles ne les reléguent pas dans une simple fonction de gestion au service des UFR, qu'elles modifient leurs représentations quant à la qualité de l'activité en l'évaluant avec des outils adaptés et seuls capables de faire évoluer les mentalités et de modifier des a priori trop souvent négatifs. De plus, elles doivent préserver l'autonomie financière accordée à ces services pour que ces derniers puissent rester "compétitifs" sur un marché difficile. Il est aussi souhaitable que les conseils d'administration des établissements universitaires se dotent de commissions permanentes chargées de la formation continue, comme l'a fait l'université de Paris-Sud. Ces commissions auraient pour fonction de proposer des orientations de développement, d'organiser des confrontations, de susciter des projets, de conseiller les équipes présidentielles. Il s'agit donc de vivifier les liens entre formation initiale et continue tout en respectant les spécificités des deux secteurs et en développant une dynamique de la complémentarité. A cette fin, il est urgent que le ministère de l'Education nationale conduise une politique incitative dans les années à venir et dote de moyens adéquats les universités pour qu'elles puissent s'engager dans des politiques innovantes dans ce domaine. La Délégation à la formation supérieure et à l'emploi330 confiée à Michel Blachère semble une première initiative dans ce sens.

Les centres de formation continue ont, de leur côté, à opérer des modifications substantielles de leurs pratiques. Ils ont à augmenter leur activité de relations publiques, leur politique de communication interne et externe. L'ingénierie de formation auto-centrée et auto-suffisante doit faire place à des procédures de construction de projet en concertation étroite avec les milieux professionnels, sans néanmoins sacrifier l'essentiel à l'utile, sans se soumettre à la seule logique marchande. L'ingénierie concertée apparaît aujourd'hui comme un excellent moyen de faire évoluer l'image de la formation universitaire, tant à l'intérieur du sérail en y associant les spécialistes, qu'à l'extérieur en y intégrant un souci d'opérationnalité porté par les professionnels. Une réflexion sur les activités à caractère commercial doit être mise en oeuvre afin de revisiter la culture "marketing" et de l'adapter aux spécificités et aux valeurs de l'Université. Il faut en effet, mieux faire connaître l'activité de FPC et ses produits tout en utilisant des modalités compatibles avec le milieu. Il nous semble, par ailleurs, qu'il serait nécessaire dans de nombreux cas de passer d'une stratégie de l'offre ancrée sur le connu et le maîtrisé à une stratégie de réponse, après analyse, à la demande sociale, quitte à s'entourer pour l'analyse de cette demande d'éléments exogènes en qualité d'experts. L'ouverture, on le constate, est l'une des clés du développement, elle est à concevoir dans un système de réciprocité où l'Université s'ouvre à l'entreprise et aux nécessités économiques mais aussi où l'entreprise s'ouvre aux exigences du savoir et à sa dimension critique.

Pour conclure, nous pensons qu'aujourd'hui la formation continue à l'Université détient deux cartes maîtresses qui favoriseront encore davantage son développement et renforceront à l'avenir son rôle. La première est liée à la loi de juillet 1992 qui prolonge le décret de 1985 sur la validation des acquis. Ce texte place les services de FPC au coeur d'une dynamique nouvelle facilitant l'accès d'adultes salariés à l'Université. L'application de ce texte entraînera une inévitable adaptation des cursus et la définition de parcours individualisés auxquels ces services se préparent déjà. La seconde est la résultante de la place particulière qu'occupent ces services communs. Ils se situent à la rencontre de deux logiques, d'où certaines difficultés de reconnaissance, d'une part la logique universitaire, d'autre part la logique de l'emploi et des qualifications. Cette situation leur confère une fonction d'interface entre deux univers qui tentent de mieux se re-connaître, un pont entre deux cultures et deux systèmes de communication. Cette médiation ne peut que renforcer le rôle de ces structures, en faire, non seulement le lieu où se nouent et se renforcent les contacts, mais aussi un espace où se débattent des projets prospectifs, où se tissent des liens de coopération égalitaire.

Notes
329.

Ce texte a été publié dans Actualité de la formation permanente, n° 132, sep.-oct. 1994, pp. 23-25.

330.

Cette mission n'existe plus aujourd'hui.