De nombreuses définitions de l'interculturel sont en débat dans la société contemporaine et de nombreuses lectures peuvent être faites de ce phénomène.
Ce concept ne semble pas toujours bien stabilisé, c'est pourquoi, avant d'évoquer la situation d'interculturalité du CEP, il nous paraît nécessaire de préciser quelque peu cette notion dans un contexte institutionnel défini.
Pour éclairer la situation particulière du CEP, nous reprendrons la définition que donnent E.-M. Lipiansky et J.-R. Ladmiral de l'interculturel. Pour eux, "le terme même implique l'idée d'inter-relations, de rapports et d'échanges entre cultures différentes. Il faut moins le comprendre comme le contact entre deux objets indépendants (deux cultures en contact) qu'en tant qu'inter-action où ces objets se constituent tout autant qu'ils communiquent"332.
La notion d'interculturalité ne se comprend que dans une logique dynamique et systémique où l'échange d'informations est prétexte et cause des évolutions réciproques.
Ainsi le CEP s'inscrit bien dans un rapport d'échanges avec d'autres cultures, avec d'autres structures organisées et régies par des valeurs cohérentes, et il se construit pour une part dans ce contact, comme il participe aussi à la construction des organisations porteuses des cultures de contacts.
Il s'agit donc bien d'une logique de systèmes en inter-action et dans une certaine mesure inter-dépendants.
Avant de mettre à jour la double nature du CEP, rappelons succinctement les valeurs qui caractérisent les deux lieux où le centre d'éducation permanente puise des éléments identitaires.
Soulignons dès à présent que ce qui rend la communication et les relations interculturelles difficiles, voire impossibles, ce sont des écarts entre les systèmes de valeurs, des appréciations divergentes, des explications et des points de vue étrangers sur le monde.
Nous repérerons dans le même temps quelles sont les grandes causes qui rendent les relations entre l'Université et l'entreprise souvent difficiles, même si elles ne sont plus, aujourd'hui, toujours conflictuelles.
L'histoire des institutions est sans doute la première cause d'une différence fondamentale. L'Université qui a des traditions millénaires est à bien des égards très conservatrice et elle ne comprend pas toujours aisément les impératifs de l'entreprise, dans le meilleur des cas née au XIXe siècle et qui souvent est séduite par le moindre frémissement aux allures de modernité.
Le rapport au temps des deux institutions est sans commune mesure : l'une vit dans le temps de la recherche, de la vérification et de la réflexion ; l'autre dans le temps de l'action et de l'efficacité. L'une appartient à la culture de l'écrit et se légitime par cette dernière, l'autre à celle de la parole plus appropriée à l'immédiateté et à la décision. L'une agit dans et pour la construction du savoir théorique, souvent pour le savoir lui-même ; l'autre utilise le savoir pour agir et s'inscrit dans un pragmatisme du quotidien. L'une fait du regard critique une loi et une garantie scientifique ; l'autre le considère encore trop souvent comme une attitude déstabilisatrice, voire subversive. Les systèmes de pouvoir sont à l'image des structures qui les reconnaissent et creusent encore l'écart. En effet, l'entreprise légitime celui de l'action, l'Université celui de la pensée.
De plus ce qui, à notre avis, met le plus souvent les deux univers en tension, c'est le rapport qu'ils entretiennent à l'économie et à l'argent. L'entreprise en fait l'une de ses valeurs cardinales, l'une des bases de sa légitimité et de sa raison d'agir. L'Université les considère comme de "mauvais objets" qui souhaitent imposer à la recherche des limites et des orientations, des obligations de résultats et de délais...
Nous pourrions encore évoquer, comme obstacle interculturel entre l'Université et l'entreprise, l'inscription sur le marché et la concurrence pour l'une, sa place dans le service public d'éducation pour l'autre.
Mission de production et mission d'enseignement qui ne sont pas dépourvues de contradiction.
Afin de clore cette approche, non exhaustive, des différences culturelles entre les deux pôles de référence du CEP, évoquons la place et le statut différents de leurs utilisateurs.
Pour l'une, ils sont clients et fournisseurs, pour l'autre ils sont étudiants et usagers... Au-delà des mots se dissimulent, sous ces termes, des conceptions et des pratiques plus éloignées qu'il n'y paraît.
Néanmoins, le CEP, de par sa nature et sa fonction, occupe dans ce système une posture spécifique.
En effet, à bien l'observer, on constate qu'il entretient des relations, et sert du même coup d'inter-face, entre deux systèmes mi-clos : celui de l'entreprise d'une part et celui de l'Université d'autre part.
Il s'agit donc pour lui d'évoluer dans une double relation, entre deux cultures, et de se constituer une identité en intégrant des informations issues de ces deux systèmes.
Certes, l'appartenance et la dépendance du CEP ne sont pas totalement équilibrées entre ces deux pôles. Les liens avec l'université demeurent prépondérants mais nous le verrons, d'autres influences, d'autres pratiques sont issues d'autres lieux.
Il s'agit donc pour le centre d'éducation permanente de construire "une relation convenablement régulée"333 entre les deux pôles, tout en construisant une identité qui lui soit propre mais en conservant sa spécificité d'interface : rôle dans lequel il facilite les relations et sert de médiation entre les acteurs.
Pour ce faire, le CEP conserve une attitude d'ouverture permanente à l'égard des mondes de l'Université et des entreprises.
Sa place l'oblige en permanence à percevoir les évolutions de ces deux espaces, à comprendre leurs cultures et leurs valeurs, à tenir compte de leurs pratiques. Faute de cette vigilance de tous les instants, il perdrait contact avec l'un de ses repères identitaires et ne serait plus en mesure de jouer son rôle.
Le service commun de formation continue se doit donc d'accepter et d'entretenir des échanges positifs constants avec les deux pôles.
Au-delà, la posture interculturelle à l'échelle d'une organisation, comme dans sa dimension individuelle d'ailleurs, exige d'accepter l'autre comme différent et qu'il est possible de s'enrichir de et par ces différences.
Elle incite à ne pas se laisser entraîner dans une logique supériorité/infériorité mais au contraire à développer une logique d'échange et de réciprocité.
Pour fonctionner, toute structure interculturelle doit renoncer aux images et aux représentations non fondées. Le CEP, dans sa relation à ces deux environnements, y veille et tente de créer entre eux un espace de communication et de coopération privilégié.
Ladmiral J.-R., Lipiansky E.-M., la Communication interculturelle, Paris, A. Colin, 1989, p. 10.
Expression reprise de C. Camilleri dans son article : "la Communication dans la perspective interculturelle", in Chocs de cultures : concepts et enjeux pratiques de l'interculturel, Paris, L'Harmattan, 1989.