Les enjeux

Après avoir présenté les textes qui organisent la validation des acquis dans l'enseignement supérieur, nous allons tenter de mieux cerner les enjeux et les difficultés que constitue leur mise en oeuvre, d'abord d'un point de vue général pour ne pas écrire sociétal, puis pour l'Université.

La validation des acquis apparaît comme une manifestation concrète et socialement organisée d'une des valeurs fondatrices du courant de l'éducation permanente, celle de la deuxième chance permettant à tout individu, à un moment de son parcours, l'accès à l'éducation et à la connaissance. Elle est un second souffle et une chance de relance de la promotion sociale. En effet, "la reconnaissance (et la validation) d'acquis expérientiels (sont) particulièrement pertinentes pour des personnes fragilisées par les dysfonctionnements de l'appareil éducatif"351. Pour B. Liétard, artisan de la validation des acquis dans l'Hexagone, elle est un signe de l'évolution des valeurs de notre société. Pour G. Berger, elle est "un principe de justice sociale postulant qu'il est normal que les individus qui n'ont pas pu bénéficier, au cours de leur formation initiale, de validations officielles, puissent se voir reconnaître leurs compétences actuelles, quelles qu'en soient l'origine", même si c'est "l'évaluateur qui choisit ce qui l'intéresse"352. La validation et la reconnaissance des acquis ont donc valeur d'indicateur social, elles sont un signal quant à l'évolution des mentalités et des représentations concernant le savoir et ses modes de production. Il s'agit donc bien de lire cette loi de 1992 dans le prolongement des propositions de Condorcet sur l'éducation durant toute la vie en la replaçant, toutefois, dans un contexte social où environ 70 % d'une classe d'âge atteint le niveau du baccalauréat. Pourcentage qui aura pour conséquence, à terme, une forte mobilisation des dispensateurs de formation continue supérieure, et en premier lieu, si on la conçoit certifiante et qualifiante, l'Université.

A ce jour, dans la sphère professionnelle, la reconnaissance, quelle que soit l'origine de la validation et comme le soulignent les juristes, est de la responsabilité de l'employeur qui est "seul juge" selon la formule consacrée, de la capacité d'un salarié à occuper (un emploi)353. Evolution en cours si l'on en croit les attendus en matière de reconnaissance de l'investissement-formation prévue dans le cadre de l'accord interprofessionnel du 3 juillet 1991. Soulignons qu'une mise en oeuvre volontariste de la validation des acquis permettrait sans doute, du fait de la diminution de la durée des parcours, une réduction sensible des coûts pédagogiques et salariaux dans la gestion du congé individuel de formation (CIF) et des plans de formation. Elle favoriserait, sans doute, la multiplication des formations diplômantes et qualifiantes entreprises dans l'enseignement supérieur. De plus, sans se leurrer sur la difficulté de l'exercice, la validation des acquis pourrait faciliter l'adaptation et la gestion prévisionnelle des compétences et des qualifications à produire, sans nuire pour autant à la promotion sociale.

Pour l'appareil éducatif et pour l'enseignement supérieur aussi, devant les flux toujours grandissant d'étudiants et d"'étudiants adultes" en particulier354, tous les auteurs considèrent que la mise en oeuvre de la validation des acquis favorisera des économies de parcours éducatifs substantielles, tant sur le plan financier que pédagogique puisque visant à "éviter de recommencer des enseignements déjà assimilés par telle ou telle personne, (et à) épargner des pertes de temps ou des efforts inutiles aux formateurs comme aux personnes en formation"355.

Plus précisément pour les universités, la validation des acquis, en dehors d'une évolution des mentalités toujours douloureuse, entraînera à n'en point douter, des modifications dans l'organisation et la conception des enseignements. Le groupe de travail "étudiants adultes", après réflexion, pense que la loi de 1992 entraînera une évolution des pratiques d'orientation, d'accueil et d'évaluation des étudiants pour que la validation puisse éventuellement se faire et qu'une inévitable gestion différenciée des parcours soit organisée dans le cadre d'une individualisation et/ou d'une modularisation des cursus.

Plus fondamentalement, cette loi devrait favoriser une recherche sur l'évaluation et les modes d'identification des savoirs. Comment déterminer précisément des équivalences entre compétences professionnelles et savoirs académiques, avec quelles procédures de bilan, quels outils et quels personnels ? Comment définir le niveau et la nature des connaissances et des savoirs acquis par l'expérience ? Ces derniers sont-ils toujours identifiables ? Faut-il construire des référentiels de formation en parallèle à des référentiels de métiers ? Quelles procédures de validation, crédibles et compatibles avec les exigences de l'Université, utiliser ? Comment prendre en considération les différents publics et les origines multiples de leur demande ? Comment répondre positivement à des besoins et des attentes si diversifiées ? Quelle capitalisation des acquis expérientiels et universitaires proposer, sur quelle durée ? Quel système de pondération envisager entre des connaissances dont la nature et les conditions de production sont si différentes ? Comment repérer, ventiler dans les disciplines académiques, valider et faire reconnaître le savoir pratique toujours protéiforme et complexe et que G. Malglaive définit "comme un savoir peu ou pas formalisé (mobilisé dans l'activité). Parfois même non véritablement conscient pour ceux qui le mettent en oeuvre et que nous mettons en oeuvre dès que nous agissons"356. Immense champ d'investigation en de nombreux secteurs encore vierges, et pourtant, de la réponse à ces questions et de la mise au point d'outils performants dépendent la reconnaissance interne des validations accordées et la garantie de ne pas frapper de "fausse monnaie" académique357.

Cette loi entraîne, même si sa pratique est encore balbutiante, de nombreuses réflexions et prépare de fortes remises en cause dans les universités. Non seulement parce qu'elle exige, sans compromis ni compromission, une plus grande adaptation des formations supérieures continues à la demande sociale, mais aussi, afin de pouvoir y répondre, une meilleure connaissance des milieux professionnels. Connaissance et reconnaissance réciproques, de l'Université et de l'entreprise, qui permettront de mieux repérer les savoirs produits et mobilisés dans l'activité réelle. Enfin, pour peu que les équipes éducatives universitaires s'y intéressent, cette loi est une opportunité à saisir pour relancer de puissantes politiques de formation continue dans les établissements d'enseignement supérieur.

En matière de reconnaissance externe, cela est particulièrement vrai pour les services communs de formation continue. Il devient essentiel d'associer, sans rien perdre de nos exigences, lors de l'ingénierie pédagogique et pour l'étude des dossiers de validation, des professionnels qui garantiront, pour une part, la solidité des acquis dus à l'expérience et l'accès ultérieur à la qualification visée. Car "la qualification professionnelle comme expression d'un état de connaissances et des aptitudes d'un individu, validé par une autorité légitime à un moment donné, n'a de valeur qu'instrumentale. En effet, l'épreuve de vérité viendra de la confrontation avec le marché du travail des titulaires de cette qualification acquise et validée selon de nouvelles modalités"358.

La validation des acquis et la loi de juillet 1992 recouvrent de nombreux enjeux tant pour les individus359 que pour le système éducatif et la société tout entière. Car si la loi offre aux individus la possibilité d'une reprise d'études qui prend en compte les savoirs produits dans et par leur expérience professionnelle et sociale, elle contribue aussi à l'élévation du niveau culturel général de la population, ce qui est non seulement un gage de "développement" mais aussi et surtout, malheureusement aux yeux de certains, un gage de productivité. Elle est par ailleurs un moyen de redéploiement et de rénovation de la formation permanente dans les universités, pour peu que celles-ci s'en emparent et qu'elles assument davantage encore cette mission qui est la leur depuis 1984. Elle est une opportunité à saisir pour déployer d'ambitieuses politiques de formation permanente dans les universités et une occasion de préparer l'Université du troisième millénaire.

La problématique de la validation et de la reconnaissance des acquis, nous espérons l'avoir démontré à travers l'étude de ces deux textes, concerne l'Université dans son ensemble et en particulier son activité de formation permanente et professionnelle. Elle est l'une des clés de ses évolutions et de son adaptation aux exigences d'un monde en pleine transformation. Pour réussir cette mutation, cela n'ira pas sans grincements de dents, l'Université et l'enseignement supérieur doivent accepter et reconnaître que des situations professionnelles et/ou sociales, totalement exogènes, sont productrices de savoirs. Accepter aussi de "valider" d'autres modalités d'apprentissage, d'autres modes de transmission des connaissances et de reconnaître d'autres lieux et d'autres acteurs dans le champ éducatif. Il leur faut, d'une certaine manière, faire le deuil d'une partie de leur identité et de leur héritage, voire de leur privilège, en renonçant à d'anciens monopoles.

Par ailleurs, cette évolution entraînera des modifications dans la conception même de l'architecture des cursus mais elle nécessite aussi, de la part des universitaires, non seulement un effort de construction d'outils adaptés, afin de conduire les validations d'acquis en veillant à la fois aux intérêts des individus et à ceux de l'Université, mais surtout une volonté forte et sans faille d'ouverture. Une telle démarche permettrait à l'Université de reconnaître pour acquit le niveau et la nature académique des apprentissages de tel ou tel candidat, en bref, de lui donner quitus de son parcours. Il disposerait alors de "façon définitive et sûre" de ses acquis, ceux-ci lui étant "reconnus sans contestation"360.

Au-delà, les individus salariés ou non ont tout à gagner à la mise en oeuvre de ces deux textes. Mais soyons réalistes, dans le jeu des pouvoirs et des intérêts sociaux d'aujourd'hui, "il serait illusoire, comme le rappelle cyniquement D. de Calan de l'UIMM (Union des industries métallurgiques et minières), que tous pourront en tirer une évolution ou un important changement professionnel. Ce n'est pas le diplôme qui fait l'emploi mais la qualification"361 et le rapport de force.

La réflexion des branches professionnelles dans le domaine de la validation par exemple, celle du secteur de la formation - dont la convention collective précise que les connaissances "peuvent être acquises par formation spécifique ou par expérience" - et la directive du Conseil des Communautés européennes du 21 décembre 1988 qui propose d'établir un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans362 aideront sans doute l'enseignement supérieur à mieux accepter, donc à davantage utiliser, les textes et les procédures de validation des acquis.

Notes
351.

Chauvel E., une Politique renouvelée de reconnaissance et de validation des acquis, Education permanente, n° 109-110, déc. 91/mars 92.

352.

Cité par Liétard B., la Reconnaissance des acquis professionnels, Flash formation continue, n° 359, 15 fév. 1993, p. 8.

353.

Guilloux P., Luttringer J.-M., Validation et Reconnaissance de la qualification par les branches professionnelles, Délégation à la formation professionnelle, 1992, p. 31.

354.

Voir la définition de cette notion élaborée par le groupe de travail "étudiants adultes" réuni à l'initiative de la DESUP, et reprise par N. Terrot in Flash formation continue, n° 363, 15 avr. 1993, p. 9. Ces "étudiants adultes représenteraient 20 à 30 % du total des inscrits.

355.

Perretti A. (de), Organiser des formations, Paris, Hachette, 1991, p. 154.

356.

Malglaive G., Actes des journées de travail : Validation des acquis professionnels, Lille, 1993. Voir aussi du même auteur : Enseigner à des adultes, Paris, PUF, 1990.

357.

Expression utilisée au colloque de Lille par M. Blachère, délégué à la formation professionnelle et à l'emploi.

358.

Luttringer J.-M., la Validation des acquis par les branches professionnelles, Flash formation continue, n° 359, 15 fév. 1993, p. 13.

359.

En particulier, si l'on considère la part de plus en plus importante des ménages dans l'achat de formation, compte tenu de la réduction des aides publiques ou de celle des prises en charge des CIF, cf. les Chiffres 1994 de la formation professionnelle, Inffo Flash, n° 442, du 10 nov. au 10 déc. 1995.

360.

Se reporter aux définitions d'acquit et d'acquis du dictionnaire Robert.

361.

Liaisons sociales, n° 74, décembre 1992.

362.

Ministère du Travail, op. cit., fiche n° 17.