Pédagogie ou andragogie ?

Débat déjà ancien mais toujours d'actualité lorsqu'on aborde un tel chapitre. Les termes en furent parfaitement posés, il y a quelque temps par G. Avanzini : "Qu'on songe à un paradoxe : nous ne disposons pas, actuellement, du concept qui désignerait adéquatement la réflexion sur l'éducation de l'adulte et les méthodes appropriées. Ne visant étymologiquement que les hommes, la notion "d'andragogie" est tout à fait erronée. C'est d'anthropogogie qu'il faudrait parler mais malgré quelques utilisations, par exemple chez M. Labelle, c'est un néologisme encore peu courant. Face à ce constat, le même auteur propose aussi celui de "politagogie", pour souligner qu'il s'agit de l'éducation des citoyens mais, en définitive, il préfère s'en tenir tout simplement à l'expression "d'éducation des adultes"364. Nous serions tentés nous aussi d'aller dans le sens de M. Labelle afin de trouver un terme plus approprié à nos pratiques et ne nous privant pas de "l'autre moitié du ciel", tout en réaffirmant que c'est bien de l'éducation du citoyen qu'il s'agit. Afin de prolonger ce débat et pour aller dans ce sens, nous pourrions lui préférer le terme employé par Pierre-Joseph Proudhon365 dans sa correspondance, celui de "démopédie" ou éducation du peuple, même si pour le philosophe, le sens de cette démopédie dépasse très largement l'acte d'apprendre mais où, néanmoins, l'apprentissage du social vise bien à permettre aux apprenants à devenir auteurs et acteurs, individuels et collectifs, de leurs apprentissages.

Nous en resterons, cependant, nous aussi, au terme d'éducation permanente des adultes. Terme qui s'inscrit bien dans les préoccupations d'aujourd'hui comme il s'inscrivait déjà dans le débat lancé par l'encyclopédiste Condorcet pour lequel l'instruction ne doit pas "abandonner les individus au sortir de l'école" mais "embrasser tous les âges de la vie" car il n'y en a aucun où il ne soit "possible et utile d'apprendre"366. Bel optimisme dans l'humanité que tout formateur se doit de partager pour exercer son métier. Il est non seulement possible d'apprendre à tout âge, ce que semblent confirmer les travaux récents de la psychologie cognitive, mais "l'instruction doit être universelle, c'est-à-dire s'étendre à tous les citoyens. Elle doit dans ses divers degrés, embrasser le système entier des connaissances et assurer aux hommes, dans tous les âges de la vie, la faculté de conserver leurs connaissances et d'en acquérir de nouvelles"367. Voilà défini en termes clairs l'enjeu social dans lequel l'éducateur d'adulte, consciemment ou non, se trouve engagé. Il devrait donc renoncer à la pédagogie, à l'art de conduire les enfants, pour se concentrer sur "l'agogie"368, la guidance dans une relation renouvelée des adultes en apprentissage. Pour conclure sur ce point, si le terme de pédagogie des adultes résiste et perdure ne serait-ce pas, mais il s'agit sans nul doute d'un mauvais procès, la marque d'une résistance ou d'un refus des formateurs et/ou des institutions de considérer en adultes les apprenants de l'éducation permanente ? Refus idéologique, crainte de l'autonomie des uns ou de leur incapacité à se conduire, souhait des autres de conserver le rôle et le statut que confère encore pour quelque temps la transmission de savoir ?

Ce chapitre, en replaçant l'apprenant au centre de ses apprentissages, tentera de faire comprendre en quoi cette posture est plus favorable que toute autre aux acquisitions de toute nature. Il ne s'agit donc pas d'un simple déplacement symbolique de l'acte éducatif, mais il s'agit pour le formateur de redonner à l'apprenant le pouvoir sur lui-même, de lui réattribuer des capacités d'action propices à l'acquisition de connaissances, d'en faire le moteur et le centre de l'acte d'apprendre.

Autre question incontournable à l'orée d'un tel chapitre : qu'est-ce qu'un adulte en formation ? Nous ne rentrerons pas dans un tel débat dont nous ne sortirions sans doute pas avant longtemps. Ce débat nous paraît vain car la qualité d'adulte est le plus souvent attribuée au sujet par l'autre, rarement par le sujet lui-même affirmant son "adultité" et du même coup en contradiction avec notre position qui rend l'adulte acteur, donc sujet, de son éducation. De plus la qualité d'adulte dépend très largement du système de référence de celui qui l'attribue. Ainsi, l'on est différemment adulte selon que l'autre soit officier d'état civil, magistrat, contrôleur des impôts, psychologue ou selon que l'on soit français ou bambara, sous contrat de travail ou lycéen. L'âge n'est pas un critère suffisant, puisqu'une simple mise sous tutelle peut vous priver, d'une certaine manière, de cette qualité. Nous considérerons donc que la formation des adultes commence là où se termine la formation initiale. Au premier contrat de travail pour les uns et à l'ouverture du droit à la formation qu'il offre dans le cadre du Livre IX du Code du travail, aux premières mesures d'accompagnement par la formation des jeunes demandeurs d'emploi pour les autres et qu'ensuite, elle couvre "tous les âges de la vie", que l'on soit réputé actif ou non.

Notes
364.

Avanzini G., Introduction aux sciences de l'éducation, Toulouse, Privat, 1992.

365.

Proudhon P.-J., Correspondance, T. 4, A. Lacroix et Cie éditeurs, Paris 1875. Lettre à A.M. Charles Edmond, p. 196, Lettre à A.M. Madier-Montjau, p. 217.

366.

Condorcet, Rapport sur l'organisation générale de l'instruction publique, Assemblée législative, 20 et 21 avril 1792.

367.

Ibidem.

368.

Agogie du verbe grec "agein" : conduire, mener.